On l’a vu diriger en France avec succès à Lyon (Barbe Bleue d’Offenbach, à Marseille (Guillaume Tell, grand succès de la présente saison) et l'an prochain une Traviata est annoncée à Toulouse. Il dirige jusqu’au 22 mai prochain Don Carlos de Verdi dans la version française à Bâle et dans le même temps jusqu'au 4 juin La Belle Hélène (en version allemande Die schöne Helena) à la Komische Oper de Berlin. Il vient aussi de faire ses débuts à la Bayerische Staatsoper dans Cenerentola. Bref, on commence à voir ce jeune chef qui n’a pas encore trente ans un peu partout en Europe, et bien entendu dans son Italie natale où il vient de faire Il Signor Bruschino à Bologne qu’il avait créé à Pesaro l’été 2021 dans la jolie production de Barbe et Doucet (voir nos articles ci-dessous). Wanderer le suit depuis plusieurs années et a pu constater peu à peu son installation au rang des plus intéressants des chefs de la jeune génération italienne, très riche en grands espoirs de la baguette comme on sait. Chaleureux, disponible, il nous a reçus avant une représentation du Don Carlos de Bâle pour une conversation à bâtons rompus, particulièrement intéressante et sympathique.
Vous avez dirigé beaucoup de Rossini, mais aussi Offenbach - vous le dirigez à la Komische Oper de Berlin ces jours-ci ; mais vous ne semblez pas avoir dirigé Verdi aussi souvent. Comment êtes-vous lié à Verdi ?
En fait, je dois dire qu'au début de ma carrière, tout a commencé avec Verdi parce que je fréquentais beaucoup les cercles de Busseto, de Parme et que j'ai eu l'occasion de diriger de nombreux concerts y compris dans la maison de Verdi. Ainsi disons qu'il y a un fond qui m'avait prédisposé, aussi d’ailleurs parce que ma grand-mère a fait ses études à Parme, et donc j'ai toujours eu un lien fort avec la ville de Parme et avec Verdi lui-même.
Pour diverses raisons, j'ai préféré attendre pour me consacrer au répertoire verdien, notamment par respect pour le compositeur.
Le premier Verdi que j'ai dirigé a été La Traviata à Palerme l'été dernier, et ça a vraiment bien fonctionné, et j'ai aussi fait Rigoletto, un opéra dans lequel je me sens vraiment à l'aise.
Ensuite, je dois dire qu'un autre chemin a commencé : car après Guillaume Tell, j'ai fait le lien presque filial entre le Grand-Opéra et la musique de Verdi pour arriver à Don Carlos, qui est à mon avis un des sommets de l'expression verdienne.
Par ailleurs, et c’est très personnel, je suis aussi très lié à Verdi, parce que lors du Concours de Liège ((NdR : Concours international de chefs d'orchestre d'opéra, dont Michele Spotti a remporté la première édition en 2017) dont j'ai remporté le prix, en finale j'ai dirigé Falstaff. Vous voyez, il y a beaucoup de connections entre Verdi et moi.
Mais diriger Don Carlos à 28 ans, c'est un peu un défi, n'est-ce pas ?
Oui, un vrai défi
Surtout la version originale française...
Qui est bien meilleure que la version italienne !
Parce qu'il y a beaucoup plus de cohérence au niveau de l'histoire, parce que le texte est également plus proche du drame de Schiller. Oui, pour moi, c'est un vrai défi de diriger Don Carlos. J'espère que ce sera le premier de nombreux autres Don Carlos (ou Don Carlo). Dans la vie, il faut à un certain moment toujours décider de commencer et bien commencer, puis suivre et baliser son chemin.
C'est le Theater Basel qui vous a proposé ce titre ?
Disons que c'est une idée folle de Jean Benes 1 et de Benedikt von Peter 2 que j'ai immédiatement saisie au vol !
J'ai été ravi de relever ce défi, car il s'agissait d'un répertoire que je connaissais déjà. J'en avais déjà dirigé presque tous les airs en concert, il s'agissait donc de mettre tout cela ensemble.
Mais vous vous êtes également frotté au répertoire français puisque vous avez déjà dirigé La fille du Régiment (à Bergame) Barbe-Bleue à Lyon, et puis vous avez fini vos études musicales à Genève...
Alors comment voir cette version originale française ? Quelle est la particularité qui la rend beaucoup plus intéressante que la version italienne ?
Il y a plusieurs aspects qui, à mon avis, la rendent meilleure que la version italienne.
Le premier est évident : le plus évident de tous est l'acte de Fontainebleau, il est absolument fondamental, et pas seulement sur le plan dramatique; on peut certainement mieux comprendre ce qui va se passer ensuite sans qu’une partie de l'histoire ne soit prise pour argent comptant comme dans la version italienne, mais ce n’est peut-être pas l’essentiel. C’est surtout vrai au niveau conceptuel, car l'acte de Fontainebleau est l'une des plus grandes innovations musicales de l'histoire de la seconde moitié du XIXe siècle.
C'est la somme de tous les thèmes qui seront développés par la suite tout au long de l'opéra et qui sont mentionnés d'une manière ou d'une autre à la fois thématiquement et dans les détails de composition, détails qui seront comme des leitmotivs tout au long de l'opéra. C'est l'une des raisons les plus évidentes qui rendent cette version passionnante
L'une des autres raisons est certainement l'utilisation de la prosodie. Tout d'abord, dans la version française, le texte est encore plus proche du texte de Schiller. À certains moments, le texte de Schiller lui-même (traduit en français) est mis en musique tel quel. Et en ce qui concerne la prosodie, tout est beaucoup plus fluide. J'ai étudié les deux partitions, c'est-à-dire les versions italienne et française, pour mon enrichissement personnel. Et l'étude des deux est lumineuse. J'ai trouvé la version française beaucoup plus fluide, beaucoup moins lourde, et il est du coup incroyable de constater à quel point les deux versions diffèrent du point de vue de l'interprétation : chanter en français est une chose, chanter en italien en est une autre. Le texte français donne parfois moins de lyrisme à la structure des scènes, créant parfois des atmosphères encore plus intimes, tandis que la version italienne, où le lyrisme est beaucoup plus intense, est très différente à interpréter, et pour cette raison, différents types de chanteurs sont nécessaires. Prenons par exemple l'air de Philippe II, qui est peut-être l'un des airs les plus chantés en Italie : Ella giammai m'amò.
Si nous chantons seulement Ella giammai m'amò, nous entendons une allitération, peut-être accidentelle, peut-être pas, mais il y a en tout cas quelque chose qui ne fait pas couler le texte, avec l'impression qu'il est difficile. Au lieu de cela, Elle ne m'aime pas est beaucoup plus fluide et plus direct, et fait que le discours musical en soi est également plus connecté à la parole. C'est l'une des raisons pour lesquelles les chefs d'orchestre préfèrent la version française.
Quant à la différence entre les moments musicaux, comme la présence ou non de certaines parties : on ne peut pas juger l'œuvre d'un génie comme Verdi. Les parties musicales, tant dans la version italienne que dans la version française et dans les différentes versions (nombreuses) de l’œuvre, sont toutes magnifiques.
Et l'une des difficultés de la version française est précisément celle-ci : que garder ? que couper ?
C'est le point le plus complexe car nous avons dû trouver une version qui réponde également aux besoins de l'organisation du théâtre et à la durée globale du spectacle. Et là le travail avec Vincent Huguet a été très intéressant, et nous nous sommes très bien entendus.
Qu'avez-vous dû couper ?
De fait, nous avons dû procéder à des coupures douloureuses. Les trois plus marquantes sont:
- Le chœur d'ouverture des bûcherons L'hiver est long. Nous commençons directement par le chœur des chasseurs.
- Le ballet de la Reine "La Peregrina".
- Le troisième est le chœur après la mort de Posa, le Lacrimosa appelé ainsi en référence à la musique réutilisée dans le Requiem.
Pourquoi couper le « Lacrimosa », qui est la musique la plus emblématique de la version originale ?
Je sais, et toute la musique de Verdi est merveilleuse. Mais sur le plan dramatique, le chœur ralentit l'action avant la fin de l'acte (la scène de la rébellion) et il semblait plus pertinent de lier directement la mort de Posa et la scène finale.
Cela signifie qu’en fait votre référence est plutôt la version connue sous le nom de version de Modena (1887) en cinq actes (et en italien).
Exactement, c'était notre source d'inspiration. Mais il y a aussi deux moments qui n'ont presque jamais été joués et que je suis très fier de pouvoir interpréter, la première est le duo entre Philippe et Rodrigue, qui est la toute première version que Verdi a écrite, et l'autre est précisément après le Lacrimosa, que nous avons supprimé, la musique de la rébellion, qui n'est ni celle de Modène ni celle de Milan, mais une des premières musiques que Verdi a écrites pour Paris, une musique complètement différente qui n'a pratiquement jamais été enregistrée.
Donc nous attendons maintenant un Don Carlos très complet de votre part. Il ne reste plus qu'à identifier quelle version est vraiment complète, ce qui est un labyrinthe...
Absolument. Comme nous l'avons fait pour Guillaume Tell à Marseille, qui était presque complet. Je suis très conscient que l'exécution des versions sans coupures change beaucoup de choses. J'ai joué la version complète du Barbiere di Siviglia à Pesaro, avec tous les récitatifs non coupés. Et la beauté des récitatifs eux-mêmes, non coupés et bien prononcés, est énorme. Là où ils sont coupés, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, là-dessus je suis tout à fait d'accord. C'est comme jouer du Mozart ex abrupto !
Vous avez dit que vous aviez apprécié de travailler avec le metteur en scène Vincent Huguet. Pouvez-vous nous dire ce que signifie pour vous "bien s'entendre avec un metteur en scène" ?
Il y a plusieurs aspects : le premier est que, humainement parlant, cela semble banal à dire, mais il est très difficile de travailler avec des collègues avec lesquels on ne s'entend pas humainement. Avec Vincent, nous avons un style voisin dans la vie quotidienne, et nous avons une approche sérieuse et professionnelle de l'opéra et un grand respect pour la partition. C'est fondamental d’avoir une attitude de recherche, très concentrée et approfondie dans le travail, sans jamais se satisfaire des résultats que nous obtenons, mais en essayant d'aller plus loin, de s'améliorer en apprenant l'un de l'autre.
Ainsi très souvent, certaines couleurs dans l'orchestre m'ont été suggérées par certains gestes qu’il proposait aux chanteurs, et vice versa, d'autres gestes ont été suggérés par la force de la musique.
Ce que j'aime dans sa mise en scène, c'est que déjà l'histoire de Don Carlos est extrêmement complexe pour un auditeur qui la découvre pour la première fois. Lorsque vous êtes confronté à un mastodonte comme Don Carlos, la première chose à faire est d'essayer de comprendre l'histoire, car une fois que vous comprenez l'histoire, vous comprenez les personnages.
À mon avis, après, on participe mieux à ce qui se passe, et je dois dire que la force de cette mise en scène est de faire comprendre tout ce qui se passe de manière claire (et ce n'est pas facile) mais dans un style toujours extrêmement raffiné. J'aime les scènes qui me donnent un sentiment de grandeur comme dans tout Grand-Opéra. Mais en même temps, elles donnent aussi cette dimension onirique qui élève le niveau de cette musique à un niveau beaucoup plus éthéré, on peut ainsi bien se concentrer sur tout ce qui se passe notamment dans l'autodafé.
Très souvent, en revanche les metteurs en scène mettent parfois le chef d'orchestre en difficulté par des positions des chanteurs qui sont soit vraiment étranges, soit contraires à ce que peut être la relation nécessaire entre l'artiste qui chante, le chef d'orchestre et l'orchestre, et ces choses-là ne se sont ici jamais produites ; au contraire, nous avons essayé ensemble de trouver des solutions qui pouvaient convenir à tout le monde.
Mais quelle est votre position sur la mise en scène d'opéra ? Vous connaissez les controverses sur la question depuis des années...
Question délicate pour un chef d'orchestre de 28 ans, tenté de répondre de manière "politiquement correcte". Peut-être qu'à quarante ans, je me sentirai plus libre de dire vraiment ce que je pense.
Pour être honnête, ce qui me crispe, c'est quand un metteur en scène ne connaît pas la musique, parce que parfois, les metteurs en scène ne connaissent ni la musique, ni le texte ni la langue de ce qu'ils s'apprêtent à mettre en scène. Ça n’est pas normal, car lorsqu'un chef d'orchestre aborde un certain opéra, il en connaît le répertoire, le style musical et le style vocal, et souvent la langue ; je ne comprends pas pourquoi, dans le même temps, son plus proche partenaire de travail dans la production d'un opéra peut à peine prononcer correctement son titre. Rien que cela me suffit à subodorer le bon du mauvais metteur en scène.
Et en ce qui concerne la mise en scène « moderne », contemporaine et la mise en scène « traditionnelle », classique, à mon avis, le débat ne porte pas là-dessus : il y a des mises en scène cohérentes et d’autres qui ne le sont pas. Pour moi, la beauté est là où il y a de la cohérence, et comme je suis un esthète, tant sur le plan musical qu'intellectuel, j'essaie toujours de trouver la beauté. Il n'est pas nécessaire d'avoir une beauté subjective, il y a une beauté globale, qui peut venir de la figure la plus laide du monde, mais si elle est rendue dans cette atmosphère particulière, avec ce type de lumière, avec ce type de couleur, elle peut être vraiment très scénographique et avoir un grand effet : cela peut certainement être un point en faveur d'un metteur en scène.
Un troisième et dernier point, qui à mon avis est déterminant, est de comprendre que l'opéra – c’est le sens même du mot- est un mélange d'arts. Un mélange de théâtre, de musique, de danse, et pour cette raison tous les composants doivent être à leur place et à leur aise...
On ne peut pas faire de la bonne musique avec une mise en scène qui pénalise le chant car c'est un manque de respect envers tous les autres professionnels (à l'exception de l'équipe de mise en scène). En même temps, il ne faut pas s’en tenir à des types de mises en scène "historiques".
Il est évident que nous devons toujours essayer de rafraîchir, même les plus belles des productions classiques ou historiques, nous devons rendre tout plus frais, nous devons en moderniser la présentation. Cependant, là où il y a du respect, il y a la possibilité d'obtenir un excellent résultat artistique.
Ce théâtre a un profil particulier en Suisse : Zurich est le théâtre de répertoire de référence, Genève est un théâtre de type stagione "à l'italienne", et Bâle, le troisième plus important, est un ensemble où se combinent théâtre parlé et opéra, avec parfois des productions ou des expériences plus audacieuses. D'une certaine manière, un théâtre moderne avec des chanteurs plus jeunes... Comment vous y êtes-vous senti ?
Je me suis très bien entendu avec tout le monde, vraiment! En particulier, j'ai trouvé des équipes de travail, toutes extrêmement dévouées à la production : des pianistes collaborateurs aux chefs de chant, au chef de chœur. J'ai eu l'impression d'être un guide pour eux, un point de référence, et cela m'a fait très plaisir. J'ai essayé d'installer un peu d'atmosphère italienne tout en m’appuyant sur ce qu'ils faisaient, sur leur pratique.
En particulier, je me suis extrêmement bien entendu avec l'orchestre. C'est un orchestre avec un son très symphonique, et partir d'un fond symphonique pour essayer de le rendre opératique est plus facile que l'inverse, et il y a des moments très symphoniques dans Don Carlos, liés à l'articulation, au sostenuto, même le "Klang", à la couleur de certains types d'instruments décisive pour l'interprétation, et donc j'ai toujours trouvé un grand professionnalisme, et indépendamment de mon âge, ils m’ont toujours mis à l’aise...
… Parce qu'ils ont reconnu en vous un musicien raffiné...
D’ailleurs j'écris souvent qu'en ce moment, la génération de jeunes chefs d'orchestre italiens est assez riche et excellente. Pourquoi ça ?
Disons que traditionnellement, nous avons toujours eu une excellente école de direction d'orchestre, et je dois dire que le sérieux avec lequel nous abordons ce monde vient certainement de l'amour passionné qu'un chef d'orchestre italien porte à l'opéra. Cela permet souvent d'approfondir ou de creuser un certain type d'étude qui porte ensuite à un plus grand succès.
De même, du point de vue du caractère, il n'y a pas de stéréotypes car je suis vraiment contre les stéréotypes. Mais à mon avis, du moins chez mes collègues du même âge ou un peu plus âgés ou légèrement plus jeunes, je remarque toujours un fort trait d’humanité, qui vient peut-être du fait que les orchestres, étant de plus en plus préparés, ont besoin avant tout d'un travail technique et musical, mais surtout d'une personnalité, d'un guide humain, d'un leadership fort qui peut vous accompagner dans un parcours artistique.
Pour moi personnellement, c'est formidable d'avoir autant de collègues de qualité, car parmi les Italiens, nous savons qu'il y a beaucoup de bons chefs d'orchestre, ce qui stimule. Une saine compétitivité est ce qui vous aide à toujours vous améliorer et à essayer de toujours dépasser vos limites.
Pour beaucoup, un chef d'orchestre italien est un chef d'orchestre d'opéra. Mais il y a également eu de nombreux grands chefs italiens pour le symphonique au cours de l'histoire. Et pourtant la plupart des chefs italiens sont souvent appelés à diriger le répertoire italien et on n'entend pas parler du symphonique... Comment vous positionnez-vous par rapport au symphonique et au répertoire non-italien ?
Oui, je suis tout à fait d'accord. C'est pourquoi j'insiste toujours pour avoir beaucoup de répertoire symphonique, et heureusement j'en aurai dans les prochaines années, également en ce qui concerne le futur théâtre dont je vais assumer la direction musicale, que je ne peux pas annoncer maintenant mais avec lequel je vais beaucoup travailler. La saison symphonique sera entièrement la mienne. Je pourrai donc aussi m'essayer aux grands répertoires tels que Bruckner Mahler et autres. Être étiqueté, c'est la mort pour un chef d'orchestre. C'est pourquoi je me force aussi à aborder des répertoires différents.
Je n'ai pas à prouver quoi que ce soit à qui que ce soit, mais plutôt à me prouver à moi-même que je peux couvrir un large répertoire, dans le sens où je peux me débrouiller aussi bien avec la première moitié du XIXe qu'avec la deuxième ou même la première moitié du XXe siècle. L'opéra contemporain, par contre, n'est pas quelque chose que j’aborderai, parce que je n'y prend aucun plaisir.
En ce qui concerne le répertoire symphonique, je pense qu'il est très important de briser tous les clichés : maintenant que nous sommes en 2022, maintenant que nous essayons de briser les clichés, de sexe, de genre, homme, femme etc…, pourquoi ne pas faire la même chose en musique, pour le cliché du répertoire et le cliché de l'âge, au sens où je ne vois pas pourquoi un chef italien à 30 ans ne pourrait pas bien diriger Bruckner ou Mahler. Il faut donner l'occasion d'essayer de voir ce qu'un chef d'orchestre italien, avec sa formation et évidemment bien préparé, peut apporter : pour ma part je parle anglais, je parle et je lis en français et en allemand, c'est fondamental, parce que sinon il est difficile de diriger tous les types de répertoire à l'instinct, mais aborder une Troisième de Bruckner sans lire et comprendre la grammaire allemande, c'est à mon avis très difficile.
En même temps, il faut aussi parfois avoir l'humilité de savoir attendre le bon moment de la vie, celui où convergent maturité musicale et humaine.
Dans le répertoire symphonique, quels compositeurs avez-vous déjà dirigés ? Où vos goûts vous mènent-ils ? Par qui êtes-vous attiré ?
Brahms et Tchaïkovski sont les compositeurs que j'ai le plus dirigés. C'est facile à dire car ce sont aussi les plus joués. J'ai beaucoup dirigé Haydn, par exemple. Évidemment, Mozart aussi. Mais Haydn est à mon avis un excellent terrain d'entraînement, tant pour le chef d'orchestre que pour les orchestres qui jouent, car il est très délicat et extrêmement novateur. Le répertoire auquel j'aimerais beaucoup m'essayer est celui du début du XXe siècle, qui est, selon moi, un répertoire techniquement très intéressant pour un chef d'orchestre, mais disons que le monde symphonique de la Mitteleuropa est celui qui m'excite le plus.
Typique pour le milanais que vous êtes ?
(Rires) Exactement ! Et c'est ce que je vais essayer d'explorer au cours des prochaines années, en conservant toujours une vaste palette dans mes choix.
Qu'en est-il du répertoire d'opéra non italien, avez-vous eu des propositions, y a-t-il des choses que vous aimeriez diriger ?
Oui, absolument. D'ici à mes 35 ans, j'aimerais commencer à diriger au moins deux titres de Wagner, peut-être les plus italiens comme Fliegende Holländer, Tannhäuser ou Lohengrin. Après avoir dirigé Le Bourgeois gentilhomme 3, je voudrais approfondir mes connaissances sur Richard Strauss car cette expérience a été très intéressante. Par ailleurs, j'adore Korngold et j'aimerais aussi tellement le diriger.
Pour l'instant, je regrette un peu de ne pas pouvoir diriger le répertoire russe à cause de la méconnaissance de la langue, car comme je l'ai déjà dit, la connaissance de la langue est fondamentale. Mais la vie est longue...
Et pour vous, à Milan, la Scala est-elle à l'horizon ?
Pas pour le moment, mais espérons que cela viendra bientôt. Je serais fou de dire que ce ne serait pas un rêve de diriger à La Scala. J'ai dirigé à l'Accademia della Scala, j'ai toujours vécu ce théâtre comme un temple de la musique, comme mon théâtre, et je serai très ému le jour où un contrat arrivera...
Certains jeunes chefs d'orchestre de votre âge ont déjà deux ou trois orchestres ? Vous en avez envie ?
Honnêtement, non, parce que je vais bientôt avoir un orchestre et je veux profiter à plein de de lui.
Un orchestre symphonique ?
Non, un orchestre d'opéra qui joue aussi du symphonique.
Organiser une saison symphonique et une saison d'opéra, c’est déjà très complexe, et puis il y a différents types de postes. Mais il faut aussi avoir une équipe de collaborateurs capables, c'est-à-dire l'agent etc... Et il faut enfin avoir la capacité personnelle de comprendre quand il est temps de s’arrêter pour étudier un peu : cet été, par exemple, j'ai refusé des contrats et je vais m'absenter pendant un mois et demi parce qu'ensuite un rythme infernal va commencer en septembre, et pendant ce mois et demi je veux étudier tout ce qui doit être préparé. Il est également important de s'arrêter, de réfléchir, de lire, mais aussi d'être en famille, de profiter d'autre chose. Il n'y a pas que la musique, il y a des tonnes de formes d'art, même de divertissement, et ce peut-être aussi des petits cailloux qui vous font mûrir.
En dehors de la musique, quels sont vos loisirs ?
Essentiellement la lecture. J'adore lire. Oh Dieu, je suis assez ennuyeux parce que je suis un fan de biographies. Les livres biographiques ou autobiographiques sont ma grande passion.
Et que lisez-vous en ce moment ?
En ce moment je lis (NdR: il cherche dans son sac) cette biographie de Bruckner 4, c'est, je dois dire, assez intéressant. J’ai aussi "The Essence of Bruckner, The Essence of Bruckner : An Essay Towards the Understanding of His Music" de Simpson 5. Quand je m’y mets, C’est à fond.
Ensuite, sur Wagner, je lis aussi Slavoj Žižek, Variations Wagner 6, très intéressant et surtout très agréable parce qu'il ouvre beaucoup de portes.
Mais j'aime toutes sortes de choses, même le sport : j'aime courir, j'aime nager, j'aime regarder le football.
Milan AC ou Inter?
Non, Fan de la Juventus parce que ma mère est du Piémont. Mon nom est Michele à cause de Michel Platini ! (rires)
Vos projets ?
Heureusement, je travaillerai avec des opéras et des orchestres symphoniques de plus en plus d'importants. Ensuite, mon dernier contrat pour l'instant est en 2026, donc je dois dire que les choses vont plutôt bien.
Par-dessus tout, ce qui me plaît pour la suite de ma carrière, c'est qu'il y aura un fort versant symphonique et j'en suis vraiment très heureux. Parce que je suis violoniste à l’origine et que j'ai tellement travaillé au conservatoire sur tant de répertoire symphonique, et j'adore ça.
Pour ce qui est de l'opéra, je vais avoir beaucoup de Verdi dans mon avenir proche et de nombreux titres différents. Il y aura encore du temps pour Puccini, même si je ferai assez souvent Bohème et Butterfly, mais aussi Donizetti, un auteur que j’adore. Bellini en est un autre mais il faut trouver le bon théâtre pour le faire car il faut faire attention aux conditions de production, à la distribution... c'est plus délicat.
Mais il y aura aussi des surprises intéressantes...
Vous avez eu un grand succès au Festival Donizetti l'année dernière avec La Fille du Régiment à Bergame. Vous reviendrez à Bergame ?
Pour l'instant, il n'y a pas de projets en vue, mais j'ai passé un excellent moment à Bergame, notamment parce que c'était une expérience merveilleuse à tous les niveaux. J'aime beaucoup le Festival Donizetti : il y a un sérieux dans l'approche, et même un certain courage, et c'est fascinant. En plus Bergame est la ville où mon enfant est né, et j'y suis particulièrement attaché.
Vos chefs d’orchestre du passé ?
J'ai Bernstein et Abbado dans mon firmament.
Et du présent?
J'aime beaucoup le style de Noseda, puis Nelsons pour la symphonie, et bien sûr Petrenko, et Daniele Gatti aussi. C’est une belle période pour la variété des grands chefs.
Un rêve ?
(rires) : Juste pour rêver, faisons le grand saut : diriger Falstaff à La Scala.
Theater Basel: Verdi, Don Carlos, 4, 7, 13, 15, 21, 22 mai
Komische Oper Berlin, Offenbach, Die schöne Helena, 8, 25 mai, 4 juij
Théâtre des Champs Elysées, Paris: La folle soirée de l'Opéra - Radio Classique, 24 et 25 juin.
References
1. | ↑ | le directeur artistique pour l’opéra à Bâle |
2. | ↑ | Intendant du Theater Basel |
3. | ↑ | au festival Valle d'Itria à Martina Franca en 2020 |
4. | ↑ | Sergio Martinotti, Bruckner, EDT, Torino 2003 |
5. | ↑ | Robert Simpson, The Essence of Bruckner, The Essence of Bruckner : An Essay Towards the Understanding of His Music, Gollancz, London 1992 |
6. | ↑ | Slavoj Žižek, Variations Wagner, Nous, Caen 2010 |
© Rosellina Garbo (Traviata)
© Christian Dresse (Guillaume Telle Marsiglia)
© Marco Borelli (Ritratti)`
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