A tout juste 31 ans, le chef Lorenzo Viotti que nous avions applaudi dans la fosse de l’Opéra Bastille en avril 2019 dans Carmen, est de retour à Paris pour diriger la nouvelle production du Faust de Gounod (diffusée sur Arte le 26 mars). Nommé chef principal du Dutch National Opera d'Amsterdam et du Nedrlands Philharmonisch Orkest, le tout jeune successeur de Marc Albrecht poursuit sa fulgurante ascension, heureux d’avoir choisi Amsterdam pour réaliser un ambitieux projet artistique, qu’il n’aurait pas pu concevoir ailleurs. Fort des relations qu’il a tissées avec Lisbonne et le Gulbenkian Orchestra, invité à la Scala de Milan, à l’Opéra de Vienne ou à Munich, Lorenzo Viotti est un pragmatique, un homme de son temps qui se veut impliqué dans la musique qu’il souhaite aborder comme un tout et non comme une série d’événements éclatés, comme l’ancien monde en a produit en quantité. A deux doigts d’abandonner la direction d’opéra avant le premier confinement, le chef suisse a vécu cette pause intensément, trouvant le temps de se régénérer pour repenser son métier et ses activités corollaires qui n’ont pas fini de le passionner. Rencontre avec un chef en phase avec son époque.
Faust est programmé le 26 mars sur la 5 à 20h50 et le 3 avril à 20h sur France Musique
Vous deviez diriger une reprise de La Bohème la saison dernière sur la scène de la Bastille et vous revoilà avec un autre classique : Faust. Avec une telle œuvre, quels sont les écueils à éviter en termes de direction d’orchestre et qu’avez-vous envie de dire avec cette partition ?
Humm… je me suis rendu compte que lorsque l’on aborde Gounod, on ne peut pas, en tant que musicien, mentir au public avec des artifices romantiques utilisés généralement, ce que je déplore, dans tout. Cette attitude m’a aidé en me mettant à l’étude de Faust, même si j’ai ce type d’approche avec Puccini, car je pars toujours de la langue, du rythme, des phrasés que le compositeur a mis noir sur blanc. Avec Gounod, dont j’ai déjà dirigé Roméo et Juliette à la Scala de Milan notamment, j’ai constaté que les chanteurs avaient tendance à en faire beaucoup trop et que les orchestres faisaient de même, abusant d’expressivité, de vibrato passionné, sans que l’on ait pris le temps de se poser des questions. Il est pourtant indispensable d’écouter la mélodie répondre avec les bois, de se demander si cette phrase doit être jouée recto tono, avec quel type de vibrato, pourquoi les vents bruissent-ils ici de cette manière, s’il faut recourir là à la voix de tête ou tenter un falsetto et c’est à ce moment que l’on se rend compte que c’est une musique extrêmement riche en couleurs et en intensité. L’écriture de Gounod était classique, très ancrée dans le romantisme et cela se vérifie à la lecture de ses lettres où il est très difficile d’imaginer qu’il voulait entrer dans les ordres. Cela m’a beaucoup aidé pour repartir dans ce travail fondamental qui passe par le respect du texte avant l’interprétation. J’ai demandé aux chanteurs, ici à Paris, si au lieu de les arrêter à chaque note ils ne voulaient pas que nous essayions ensemble de ne pas en faire trop, et ils ont entendu la différence car ils sont très intelligents : ils ont apprécié le fait que je leur fasse remarquer qu’ici il s’agissait d’une « conversation en musique » et pas d’un air, que là nous avions une « prière », plus loin une cavatine et pas un arioso et qu’à chaque fois cela influait sur la manière d’aborder la musique et demandait d’adapter la manière de chanter. Je leur ai fait comprendre que l’orchestre les accompagnerait et jouerait pour ne pas les couvrir et que les nuances sauteraient aux oreilles. Je n’ai pas de crainte car j’ai l’expérience de ce Roméo et Juliette dont la musique est également extraordinaire, alors qu’elle peut paraître superficielle ou redondante si elle est jouée de façon linéaire ; comment montrer l’évolution de ce couple entre le premier et le dernier duo ? Roméo et Juliette découvrent d’abord l’amour, il faut donc éviter le rubato, pour laisser la place à la fragilité. La seconde rencontre a lieu, après leur nuit d’amour, l’atmosphère est donc plus feutrée, érotique et à la fin, ils ont décidé de mourir pour vivre ; là on ne peut plus échapper au drame. Si les chanteurs résistent on ne peut évidemment pas obtenir ces variations qui sont indispensables.
Avez-vous constaté depuis la pandémie un changement réel chez les artistes avec lesquels vous travaillez ; certains comportements liés à "l’ancien monde", aux plannings extravagants, aux arrivées tardives sur des productions qui risquaient de compromettre la qualité des spectacles, ont-ils été abolis ?
Cette pause forcée a eu du bon, car les pratiques anciennes étaient devenues toxiques : je dois vous dire à ce propos que j’ai failli arrêter l’opéra, car j’en étais venu à me sentir coupable par rapport au public. Coupable en quelque sorte de ce que le système avait pu générer et qui avait fini par pervertir le public qui se croit par exemple obligé de réserver à chaque concert des standings ovation, ou à applaudir sans fin après une note tenue : tout cela est pauvre d’un point de vue artistique. A Amsterdam où je vais m’installer prochainement pour travailler, le challenge va être grand et j’espère parvenir à réfréner les ardeurs du public que je trouve démesurées, car parfois elles ne sont pas méritées ; il faut éviter ces attitudes, sinon personne ne comprend plus rien. Nous devons être vraiment jugés sur la qualité de nos performances et j’ajouterai que ce n’est pas parce qu’il y a un grand nom sur l’affiche que la prestation sera exceptionnelle. Je suis difficile avec ça et surtout à l’opéra où je ne souhaite plus travailler avec certaines personnes, quand tout le monde sait pertinemment qu’elles ne seront pas là pour prendre le temps de répéter. La notoriété n’excuse par tout et je refuse d’être en fosse pour les accompagner, je veux que notre travail soit une œuvre collective. Battre la mesure dans mon coin ne m’intéresse pas ; la musique ne doit pas être un gala. En tant que directeur musical à Amsterdam je me battrai contre cela et n’hésiterai pas à employer les grands moyens. Vous savez depuis plusieurs années, je refuse les invitations d’un grand festival parce que je sais que les conditions ne seront pas respectées par tout le monde et que la musique, par manque de respect de certains chanteurs prévus, ne sera pas au rendez-vous. Je ne veux surtout pas passer pour un charlatan, l’éthique est pour moi très importante.
Combien de temps vous a pris l’étude de la partition de Gounod et peut-on dire que le rythme moins soutenu de votre carrière vous a permis de vous préparer de façon plus approfondie et donc plus satisfaisante ?
Non, car si j’accepte une proposition je sais que je serai prêt à la première répétition, quoiqu’il m’en coûte. Je travaille en principe beaucoup en amont, mais pour Faust, ayant déjà dirigé Roméo et Juliette à Lisbonne puis à Milan, je n’ai pas eu besoin de me précipiter ; j’ai commencé l’étude de cette nouvelle partition pendant le premier confinement, non sans avoir beaucoup lu et commencé à prévoir quelques coupures ou changements véniels, mais je n’avais pas envie de m’y mettre tout de suite. J’ai de toute façon la chance d’apprendre vite, donc ayant déjà analysé le style de l’auteur et lu sur la période de la création, en abordant le contexte politique et historique, je me sentais déjà nourri. Je fais généralement de même avec le répertoire symphonique que j’aime analyser avant, mais que j’aborde avec l’orchestre en laissant une part d’improvisation ; j’attends des musiciens qu’ils réagissent sans rien imposer d’emblée et pour que l’interprétation n’en soit que plus ouverte.
Les dernières productions de Faust à Paris ont été très décriées. La mise en scène a été confiée cette fois à l'allemand Tobias Kratzer à qui l’on doit le Tannhäuser de Bayreuth en 2019, le Guillaume Tell de Lyon et le Fidelio de Londres avec Kaufmann et Lise Davidsen. Quelle est son approche du drame ?
Je n’ai pas encore vu la totalité du spectacle, mais j’aime la façon de travailler de Tobias Kratzer, très efficace puisqu’il a monté ce Faust en trois semaines ; il respecte la musique et je pense que sa mise en scène sera appréciée par le public car elle est très actuelle, tout en racontant l’histoire et que l’usage de la technologie ne gêne en rien la partition. J’attends avec impatience les premiers retours des chanteurs pour pouvoir travailler à libérer la structure, à trouver la liberté dans le tempo, le jeu et l’action ; ce sera mon objectif pour la semaine prochaine.
Malgré la pandémie, vous avez eu la chance de poursuivre vos activités en allant diriger un peu partout à Zürich, Amsterdam, Lisbonne, Munich ou Milan… et presque réussi à maintenir l’illusion d’un agenda normal. Si c'est sans doute salvateur, ces concerts ont lieu comme ce sera le cas à Paris devant des salles vides. Comment vivez-vous, percevez-vous et luttez-vous contre l’absence de public ?
C’est tout à fait possible, mais pas pour tout le monde. Les danseurs et les chanteurs vivent des moments difficiles, car dans ce métier si nous n’avons pas une discipline de fer les risques de perdre sa force physique ou sa voix sont importants. Un danseur ne peut pas s’entrainer seul chez lui et un chanteur sans coach a du mal à s’exercer, alors qu’un musicien doit uniquement être en bons termes avec ses voisins (rires). En Europe il est encore possible de répéter, de donner des concerts comme nous avons pu le faire à Amsterdam où les chœurs par exemple ont été très actifs : j’ai conçu un projet de concert « a cappella » pour qu’ils puissent continuer de travailler. A Lisbonne également j’ai pu diriger devant des salles de 2000 personnes ce qui était incroyable. Ainsi, quand le MET a annulé la production à laquelle je devais participer, j’ai pu rester deux semaines supplémentaires à Lisbonne, ce qui nous a permis de constituer différents projets de concerts et notamment de proposer La voix humaine avec ma sœur Marina et le metteur en scène Vincent Huguet, un projet autour de Bartok, un autre avec L’histoire du soldat au milieu d’un autre encore consacré à Tchaïkovski. Nous avons énormément travaillé, mais il fallait en profiter d’autant que nous pouvions accueillir le public, ravi. C’est possible et moi, ce qui m’attire, c’est de voir comment cette crise peut nous pousser à la créativité, car il y a beaucoup à faire. Nous ne pouvions pas continuer comme avant ! A Amsterdam où je vais donc m’établir j’ai proposé un projet global et fédérateur pour que tous les arts soient réunis, le ballet, les écoles, les étudiants en théâtre...
A l’exception de quelques grandes salles espagnoles ou monégasques qui reçoivent du public, concerts et représentations parviennent à être sauvés grâce au digital ; celui-ci était jusque-là vécu comme un moyen, craignez-vous qu’à l’avenir la technologie supplante le spectacle vivant et devienne une fin ?
Non, c’est un moyen de toucher un plus large public, mais il est intéressant de voir comment il est perçu partout en Europe. En France et en Allemagne ça ne marche pas, alors qu’en Italie le streaming a un véritable impact, sans doute parce qu’il y a là un vrai amour pour les institutions. Nous y avons organisé un concert symphonique pour lequel j’ai pris le temps de faire une présentation au public et nous avons eu près de 100 000 vues, gratuites certes, sur Instagram et Facebook ainsi que sur une chaine italienne populaire. Si l’on agit de même sur Arte qui est une chaine extraordinaire, sur Mezzo ou Culturebox, il faut veiller à faire des ponts avec d’autres publics. L’opéra pour ceux qui connaissent mal la musique classique et l’art lyrique, c’est Garnier, et si l’on veut s’adresser à de nouveaux publics il faut aller les chercher ; le streaming ne doit pas être limité à ceux qui savent comment faire pour écouter ce qu’ils aiment et en sont privés. Il faut utiliser le digital d’une façon plus « américaine » qui vise à toucher le plus grand nombre et tout de suite. Pourquoi va-t-on regarder un concert sur son Iphone ? Il faut que l’approche soit moderne, que l’image, les lumières, la présentation soient attirantes. Il faut utiliser des termes simples, qui mettent en confiance, sans exclure car notre art peut faire peur ; il faut que le chef fasse le lien entre le public et les musiciens, et s’il se retourne et parle normalement, se montre accessible, je peux vous garantir que le tour sera joué, car au final nous cuisinons des sons, rien de plus !
Certains chanteurs reconnaissent que la baisse d’activité a eu des conséquences bénéfiques sur leur instrument, le rythme effréné des productions et des déplacements n’étant pas toujours recommandé pour la voix. Un chef peut-il ressentir un bienfait à travailler moins et donc éviter stress, surmenage et fatigue ?
Cela a été une bénédiction : le 15 mars 2020, jour de mes trente ans, le fait de devoir m’arrêter pendant plusieurs mois a été un moment extraordinaire, car j’avais le sentiment d’en avoir trop fait. Physiquement j’aurais pu encore tenir ce rythme, mais émotionnellement il s’était passé tant de choses. Après avoir dirigé la 3ème symphonie de Mahler à Berlin, je me suis rendu compte que je n’avais pas eu le temps de réaliser ce qui m’était arrivé, alors qu’il est primordial de pouvoir digérer une telle expérience. Le dimanche j’ai enchaîné avec un concert à destination des familles, puis le lundi j’étais en répétition pour une production d’Eugène Onéguine et là je me suis dit trop c’est trop. Alors pouvoir s’arrêter, passer du temps avec ma famille, sans musique, faire autre chose, du jardinage, du sport, rire, suivre un stage d’allemand intensif, tout cela m’a permis de passer une année magnifique. J’ai pu diriger des concerts dans les hôpitaux avec des orchestres de jeunes en Italie, ralentir mes activités, voyager. Un vrai bienfait.
Vous qui avez la chance de diriger tant de formations différentes, allemandes, autrichiennes, italiennes, suisses, portugaises avez-vous le sentiment qu’elles sont parvenues malgré une certaine uniformité, à cultiver et à protéger leur identité sonore et leur particularité ?
Cela dépend de leur chef. Malheureusement de très grandes institutions qui ont une histoire sonore, une identité, une pâte, finissent par les perdre en raison de l’arrivée de nouvelles générations et cela se vérifie un peu partout. Certains chefs ne travaillent plus les choses fondamentales comme le son, les cordes, ne s’interrogent plus sur la manière de faire sonner l’orchestre dans du Brahms, dans du Bruckner ou comment la transition avec Schumann s’est passée. Elles manquent également de curiosité, de diversité car ce sont toujours les mêmes compositeurs qui sont joués. Je déplore aussi l’absence de musique de chambre ; le chef est responsable et doit travailler avec ce qu’il a déjà ; c’est difficile, cela implique un travail de longue haleine, j’en ai conscience, mais cette attitude est indispensable si l’on souhaite atteindre un niveau d’excellence. Je pense avoir été un peu égoïste au cours de mon apprentissage, mais désormais je travaille pour l’orchestre et avec chacun de ses membres. Diriger pour soi-même les symphonies de Mahler ne me paraît pas utile, car tout le monde le fait. Pour le moment je refuse de diriger les Symphonies de Beethoven car il faut du temps pour que l’instrument avec lequel je choisirai de les interpréter prenne mon empreinte sonore. C’est logique. Je mettrai cela en place à Amsterdam.
Vous avez remplacé au pied levé le chef initialement prévu pour diriger Die Csárdásfürstin, à Zürich, en septembre dernier, en raison du coronavirus. Opéra, opérette, symphonique, avez-vous déjà réfléchi à des œuvres que vous pensez ne jamais vouloir aborder et si oui lesquelles et pourquoi ?
Oui, j’y ai songé, je pense sincèrement ne jamais aborder par exemple Les contes d’Hoffmann, je sais que je n’y arriverai pas ; je les ai toujours refusés, mon cœur m’en éloigne et je serai incapable de défendre cet ouvrage. En revanche j’adore l’opérette et je souhaite pouvoir m’attaquer à certaines partitions avec un metteur en scène en particulier et seulement avec lui, je pense que vous voyez de qui je parle1, Pelléas bien sûr, mais je prendrai mon temps, car cette partition me hante depuis l’enfance ; il y aura également Dialogues des Carmélites ; Fidelio ? je n’y arrive pas ! Peut- être qu’un chanteur me fera changer d’avis, mais ce n’est pas certain. Par ailleurs je suis sûr que je ne referai pas d’opéra russe avant d’en maitriser la langue car avec Onéguine je ne parvenais pas à atteindre la profondeur du texte, je sentais des choses avec les accents, mais je me sentais en manque, restant à la surface sans parvenir au résultat que j’escomptais. Il me faudra donc travailler le russe, comme le tchèque si je désire aborder Janáček. Je projette de diriger Peter Grimes à Amsterdam et j’aimerai énormément m’atteler à la création contemporaine : j’ai eu un vrai choc en découvrant The Exterminating angel de Thomas Adès, grâce à une production extraordinaire. Comment ne pas évoquer aussi Mercadante ou Mozart, mais rien ne presse. Il faudra trouver le bon moment, la bonne taille de maison, le bon ensemble et laisser faire le temps.
On demande souvent aux artistes ce qui, en dehors de la vie et de leur expérience personnelle les inspire pour pouvoir traduire en musique les sentiments et les émotions que les compositeurs impriment à leur partition. Où puisez-vous vos inspirations ?
J’ai toujours admiré ceux qui peuvent répondre à cette question par un : « Oui, en me promenant au bord de la mer ». Pour moi, c’est impossible. Tant mieux pour eux, mais pour ma part, si je vois la mer je suis simplement heureux et ce n’est pas parce que je reviendrai d’un voyage en Sardaigne que je me sentirai mieux pour diriger Tristan (rires). Je dirai qu’avant tout c’est l’expérience de la vie qui m’aide, tout simplement, son influence comme celle du bonheur personnel, d’une certaine dose de stabilité, car finalement nous ne faisons que manipuler les gens avec charme, enfin nous essayons et pour moi c’est comme cela que je vois un leader. J’ai beaucoup de chance dans ma vie, je suis très entouré, je côtoie de belles et bonnes personnes qui m’aident à faire des choix : s’il m’arrivait un jour d’avoir le sentiment de me mentir et de mentir aux autres, je m’arrêterai et ferai autre chose.
Vous deviez diriger Carmen au MET, projet rendu impossible en raison de la fermeture de l’établissement newyorkais : avez-vous déjà planifié une date de report et sera-ce avec un autre titre ?
Non, rien n’a été retrouvé, et ce que l’on m’a proposé ne m’a pas fait envie. Ce n’est pas grave, il y aura d’autres propositions.
Pouvez-vous nous dire si Alexander Neef a fait appel à vous pour diriger à nouveau à Paris ?
Non pas pour le moment et vous savez je vais être très pris et pour un long moment ; j’ai fait des choix et à l’exception de quelques concerts symphoniques prévus à la Philharmonie et avec l’Orchestre National de France, je ne pourrai pas me consacrer à l’opéra avant un certain temps. A Amsterdam j’ai prévu de diriger deux titres par an, un autre est réservé à Milan, une maison et un pays pour lesquels j’ai un amour fou, sans oublier Vienne. Je suis très content d’être dans la fosse de la Bastille pour ce Faust, même si pour l’instant je ne me sens pas complètement chez moi dans cette ville.
Votre carrière s’est développée en l’espace de quelques années, vos premiers prix vous ayant ouverts les portes et permis de pratiquer votre métier qui forcément devait être il y a encore cinq six ans, théorique. Qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris et acquis en si peu de temps ?
Tellement de choses ! La plus importante est sans doute celle qui m’a fait prendre conscience de ce qu’est le rôle d’un chef dans notre société et pour le futur ; nous sommes responsables de notre art et pas uniquement habilités ou autorisés à diriger une symphonie, c’est bien plus que cela. Je l’ai ressenti par rapport à des déceptions que j’avais pu éprouver face au public qui me faisaient penser que nous mentions par rapport à notre art. J’ai pris la direction d’Amsterdam pour cette raison, car je sais qu’il s’agit de l’une des rares institutions musicales en Europe et dans le monde à ouvrir ses portes à cet art ; il y règne une ouverture d’esprit extraordinaire et le fait d’avoir à ma disposition deux orchestres, celui de l’opéra et le Philharmonique néerlandais, pour jouer dans des lieux différents est enthousiasmant : rendez-vous compte je vais pouvoir faire un opéra et en même temps un concert au Concertgebouw, ce qui va avoir une influence sur le développement du son et du style. Chaque fois que l’on fera un concert je prendrai le chœur de l’opéra ; avant on en prenait d’autres, seulement pour des questions de planning alors qu’il est si simple de s’organiser. En novembre dernier lors de mon passage à Amsterdam, j’ai mis en place un concert d’une heure « a cappella », un défi, avec au programme Gesualdo, Britten, Poulenc… un répertoire varié que le chœur a dû apprendre par cœur car le gouvernement a décrété que nous devions jouer sans public. J’ai donc décidé de créer notre spectacle avec toute l’équipe pour un live en streaming. Le chœur s’est d’abord plaint puis a accepté. Il faut être créatif en ce moment et nous devons commencer le plus tôt possible dès l’école, puis dans les conservatoires, pour que les mentalités changent. Nous avons pu réaliser un film diffusé en streaming payant et le résultat a été proprement hallucinant. Vocalement il y a encore du travail à accomplir mais j’ai senti tous ces artistes renaître. Vous savez dans ce type de grande maison, tout doit être repensé, jusqu’à la cantine, car on mange la plupart du temps de la m… alors que nous sommes des athlètes ; comment voulez-vous que l’on chante Wagner, ou que l’on danse un ballet lorsque l’on est mal nourri ? Il faut une équipe artistique en cuisine car l’engagement passe par un projet social, écologique et de santé. Moi je cuisine des sons, il est donc nécessaire que l’on cuisine pour nous. C’est capital.
References
1. | ↑ | Vincent Huguet avec qui Lorenzo Viotti collabore depuis plusieurs années |
© Brescia-Amisano / Teatro alla Scala
© DR (Tobias Kratzer)
© Site Bocconi Students Arts Society
© Lumen Photos
© Youtube (Interview Teatro alla Scala)