Nouvelle conversation estivale pour Thierry Jallet avec la comédienne et metteuse en scène Nelly Pulicani. Nous avons beaucoup aimé sa mise en scène de Cent mètres papillon avec le collectif Colette, vue en 2018. Elle dirigeait alors Maxime Taffanel qui plongeait vraiment dans une fiction évoquant l’intimité de son propre vécu de « nageur de haut niveau » rendu ici avec beaucoup de délicatesse. Nous avons également beaucoup aimé son jeu de comédienne dans Vilain ! d’Alexis Armengol vu au CDN de Tours, fin 2018. Elle repart en tournée avec ce spectacle et sera notamment de passage aux Célestins de Lyon en février 2021. Elle continuera également de jouer Albertine Sarrazin dans Sarrazine où cette personnalité hors du commun à la destinée fulgurante est née au théâtre grâce à sa collaboration avec l’autrice Julie Rossello-Rochet, dans la mise en scène de Lucie Rébéré. De sa formation à l’ENSATT, en passant par l’académie de la Comédie-Française où elle a été élève-comédienne pendant un an, jusque sur les plateaux aujourd’hui, Nelly Pulicani s’engage totalement dans les projets artistiques auxquels elle participe, poussée par une volonté d’accomplissement grâce au théâtre. Entretien avec une authentique passionnée.
La saison prochaine sera intense pour vous puisque vous serez régulièrement en tournée. D’abord avec Vilain ! d’Alexis Armengol…
C’est un spectacle que j’aime vraiment beaucoup et l’équipe est formidable. Je suis vraiment ravie de reprendre Vilain ! C’est toujours en mouvement, Alexis continue à travailler dessus donc c’est fabuleux d’y revenir. Par ailleurs, le public est diversifié. Lorsque nous l’avons présenté à Avignon 1, les spectateurs étaient essentiellement des adultes. Mais il nous arrive également de le jouer dans de grandes salles seulement avec des enfants. Cette variété est très enrichissante. Nous continuons avec plaisir la saison prochaine par une tournée importante de plus de soixante dates qui va nous conduire dans des endroits très différents aussi.
Vous viendrez aux Célestins de Lyon, n’est-ce pas ?
Et nous sommes franchement ravis. Le spectacle a été créé aux Scènes de Jura en novembre 2018. Puis, il y a eu une première tournée avec une trentaine de dates. Ensuite, nous avons joué à Avignon où le spectacle a été très bien accueilli et nous repartons maintenant pour nous arrêter entre autres sur la fabuleuse scène des Célestins.
Vous reprenez par ailleurs deux autres spectacles la saison prochaine : Part-Dieu, chant de gare et Sarrazine. Ce sont deux textes de Julie Rossello-Rochet avec qui vous semblez très liée artistiquement, comme si vous étiez en résonance l’une avec l’autre…
Ce n’est pas exagéré de le dire, en effet. J’ai rencontré Julie à l’ENSATT et j’ai en quelque sorte fusionné avec elle. Son écriture comme son engagement féministe me touchent vraiment. Toutes les deux, nous avons envie de continuer à travailler ensemble. C’est une autrice que j’aime vraiment beaucoup.
Qui sont les artistes qui mettent ses textes en scène ?
Julie Guichard met en scène Part-Dieu, chant de gare. Lucie Rébéré, elle, met en scène Sarrazine. Toutes deux sont très différentes dans leur façon de travailler au plateau avec l’écriture de Julie que Lucie Rébéré connaît depuis longtemps. Julie Guichard l’a rencontrée,elle, un peu plus tard, dans le cadre du festival « EN ACTE (S) » à Lyon.
Vous retrouvez-vous en tant que comédienne dans cette écriture ?
Julie travaille toujours son sujet de manière très approfondie. Elle va le fouiller afin d’en connaître les moindres détails. Par exemple, pour Sarrazine, elle s’est informée sur Albertine Sarrazin au point qu’elle doit certainement connaître sa vie par cœur aujourd’hui. Elle lit tout ce qu’elle trouve et cela donne naissance à une langue-fleuve lorsqu’elle écrit. Plus on pratique cette langue sur scène, plus elle se complexifie. Elle est constituée de plusieurs strates. Je trouve tout à fait passionnant de la découvrir chaque fois qu’on la dit : concrète, très poétique et drôle à la fois.Je crois que je m’y retrouve dedans. Quand je dois travailler un de ses textes, je me dis que cela va me mobiliser beaucoup car il n’y a rien en surface du texte. Il faut chercher et c’est formidable !
Dans Sarrazine, vous jouez Albertine Sarrazin qui, comme vous, a vécu à Alès. Vous semblez accorder beaucoup d’intérêt à cette singulière personnalité…
Plus que le fait qu’elle ait vécu à Alès, c’est sa naissance en Algérie qui me rapproche d’elle et constitue un point de départ car mon père est lui-même né en Afrique du Nord. Cela me renvoie donc à ma propre famille, notamment au déracinement de ma grand-mère paternelle. Lisant son parcours, j’ai retrouvé plusieurs lieux qu’elle avait traversés et qui résonnaient étonnamment avec mon enfance et mon adolescence. C’était presque un peu fou, même s’il est vrai qu’on crée parfois des liens justement comme on a envie de les créer. Ce qui m’a surtout émue, c’est sa capacité à s’émanciper, sa grande liberté. Je crois que c’est cela que j’emporterai d’elle. C’est une femme qui s’est permis des choses que je ne me permets pas vraiment moi-même : le fait de dire non, de garder ce grain de folie, de se moquer d’être haïe par certaines gens pour sa différence, le fait de revendiquer avec tant de certitude son désir de devenir romancière, tout cela est porteur pour moi. Il me semble rare de rencontrer des personnages féminins comme elle. C’était beau de la développer sur scène, de se faire un peu rêver avec elle.
Comment l’avez-vous connue ?
Pascal Noël est un créateur lumière avec qui mon collectif 2 et moi travaillons et c’est lui qui m’a conseillé d’aller à sa découverte. J’en ai parlé ensuite avec ma mère qui avait lu L’Astragale plusieurs fois. Et j’ai été troublée par le fait que tous ces gens autour de moi la connaissaient. Cette présence d’Albertine dans les environs dirons-nous, nous a portées avec Julie Rossello-Rochet. Nous avons suivi un itinéraire précis pour découvrir les endroits où elle était passée au fil de sa vie. C’est d’ailleurs incroyable, une vie aussi fulgurante avec cet arrêt brutal. Elle avait tellement envie de vivre : c’est comme un feu qui se propage. En ce sens, je trouve qu’elle se rapproche de Zoé dans Vilain ! Et je reconnais que j’aime profondément jouer ces personnages-là.
Et vous avez tout de suite pensé à Julie Rossello-Rochet pour écrire le texte…
Alors que nous étions toutes les deux à l’ENSATT, nous nous sommes entre autres rencontrées autour de la langue d’André Benedetto, fondateur du OFF à Avignon, ayant écrit de magnifiques poèmes. Quelques années après, nous avons eu envie de travailler ensemble sur un personnage de femme dans la veine de Calamity Jane. Nous sommes alors mises en recherche et, tout s’est fait évident quand j’ai croisé la route d’Albertine Sarrazin. Pour nous, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il fallait dans ce projet raconter son envie de conquérir le monde à elle, en tant que femme. Et cela jusque dans le travail de mise en scène avec Lucie Rébéré bien entendu. Le personnage de Julien devait être plus secondaire : elle était certes amoureuse de lui mais elle était surtout libre. Et c’est ce qui nous semblait intéressant de mettre en avant.
Vous avez été élève à l’ENSATT puis élève-comédienne à l’académie de la Comédie-Française : quels souvenirs gardez-vous aujourd’hui de ce parcours ?
Je crois que j’ai passé beaucoup de temps à observer. Et je continue encore d’ailleurs. Arrivant de Montpellier à l’ENSATT, j’ai ouvert grand les yeux car je connaissais peu le théâtre finalement. J’étais pourtant sûre que je voulais faire cela ! Je crois que ce qui m’a plu, c’était cette possibilité après les cours voir encore tous les régisseurs, les costumières à leur travail… Toute cette activité dans un théâtre est tellement impressionnante et c’est exactement ce que j’aime. À ce propos, la Comédie-Française offre la chance extraordinaire d’être tous les jours dans un théâtre où l’on peut assister à des répétitions Je garde d’ailleurs un merveilleux souvenir de la mise en scène des Trois Sœurs par Alain Françon. Je me souviens aussi de l’expérience du travail avec Gilles David sur les Pièces de guerre d’Edward Bond ou encore d’avoir participé à la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès en 2013, aux côtés de MaximeTaffanel.
Justement, vous l’avez mis en scène dans Cent mètres papillon que nous avons vu à l’automne 2018. C’était une première expérience pour vous : avez-vous envie de revenir à la mise en scène ?
Depuis notre rencontre à la Comédie-Française, Maxime m’a beaucoup parlé de son amour pour la natation. Il m’a demandé de le mettre en scène et j’ai accepté car son vécu m’intéressait. J’ai encore d’autres envies de mise en scène qui me portent vers des gens passionnés qui me parlent de choses qui me passionnent à mon tour.
Pour vous, être de ce côté-là du plateau est exaltant…
Absolument ! Même si je trouve que la tension n’est pas du tout la même que sur scène : on ne peut pas l’évacuer comme on le fait par le jeu. C’est particulièrement difficile pour moi, je crois. Au demeurant, je conserve ces envies de mise en scène.
Et vous vous laissez volontiers guider par vos coups de cœur…
Ce sont des coups de passion pour l’humain. Ce sont aussi des coups de passion pour certains textes, pour leurs auteurs, comme Albertine Sarrazin. C’est un peu méridional, ce type de mouvements (Rires). Quoi qu’il en soit, tout cela n’aura pas lieu la saison prochaine qui est déjà très chargée et qui ne me rendra pas disponible pour toutes les démarches logistiques indispensables à ces projets.
Les effets de la pandémie paralysent également la mise en œuvre de nombreux projets artistiques. Comment voyez-vous la suite à cette période difficile pour le spectacle vivant ?
Il est compliqué de prévoir aujourd’hui toutes les conséquences à ces événements.Je me sens un peu partagée pour répondre, entre l’idée que rien ne changera et la perspective de différents changements. Je ne peux pas être plus précise. Bien sûr, je souhaite que l’on continue même si j’ai bien conscience que nos tournées notamment sont soumises à l’évolution de la situation. Par ailleurs, je souhaite qu’on évolue sur certains points, que les budgets soient parfois mieux répartis entre les compagnies… En fait, je ressens particulièrement le besoin d’échanger avec d’autres artistes pour que nous pensions ensemble à tout cela, que nous comprenions ensemble ce que peut être le théâtre après la pandémie. Comme il est plus difficile d’être optimiste que pessimiste,conserver notre optimisme est un vrai combat à mener à plusieurs.
- Cent mètres papillon, collectif Colette, dans une mise en scène de Nelly Pulicani ; création au théâtre de l’Opprimé en janvier 2018 ; en tournée en 2020-2021, notamment au Théâtre de la Chapelle Saint-Louis à Rouen les 8 et 9 janvier 2021
- Vilain !, compagnie Théâtre à cru, dans une mise en scène d’Alexis Armengol avec Nelly Pulicani ; création aux Scènes du Jura en novembre 2018 ; en tournée en 2020-2021 entre autres au Théâtre des Salins de Martigues le 9 février 2021 ; aux Célestins, Théâtre de Lyon, du 11 au 13 février 2021 ; au Grand Bleu à Lille, du 25 au 27 mars 2021.
- Sarrazine, compagnie La Maison, dans une mise en scène de Lucie Rébéré avec Nelly Pulicani ; création à la Comédie de Valence (Comédie itinérante) en mars 2019 ; en tournée au Cratère à Alès du 6 au 10 octobre 2020 et au Théâtre de la Renaissance à Oullins du 4 au 7 mai 2021
- Part-Dieu, chant de gare, compagnie Le Grand Nulle Part, dans une mise en scène de Julie Guichard avec Nelly Pulicani ; création festival « EN ACTE(S) » à Lyon en mars 2017 ; en tournée au Domaine d’O à Montpellier les 12 et 13 octobre 2020 ; à L’Entracte à Sablé-sur-Sarthe les 3 et 4 novembre 2020 ; à L’Hectare de Vendôme le 19 novembre 2020 ; au Trident de Cherbourg-en-Cotentin du 2 au 6 février 2021
- Antis, compagnie Le Grand Nulle Part, dans une mise en scène de Julie Guichard avec Nelly Pulicani ; création au TNP en février 2020 ; en tournée aussi la saison prochaine, notamment au Théâtre 14, en novembre 2020
References
1. | ↑ | NDLR : au 11 Gilgamesh Belleville lors de l’édition 2019 du Festival OFF |
2. | ↑ | NDLR : Collectif Colette |
© Florian Jarrigeon (Vilain)
© Jean-Louis Fernandez (Sarrazine)