L'éclectique Roselyne Bachelot décroche le portefeuille de Ministre de la Culture. Personnage médiatique, haut en couleurs, qui tranche avec la transparence de son prédécesseur. Faisant passer la Culture pour un avatar de la Grande Muette, on peine à se souvenir des propositions de Franck Riester dont la malheureuse contamination au Covid-19 aura davantage fait parler de lui que ces presque deux ans passés rue de Valois.
Pour ne citer qu'un exemple, l'absurde maintien de la Fête de la Musique dit beaucoup d'une politique à l'encéphalogramme idéologiquement plat, rivé à ce divertissement et ces paillettes qui tiennent lieu de vision culturelle. Certes, l'heure n'est pas à la volonté de prolonger la morosité du confinement, non plus du reste à décréter officiellement que tout peut rouvrir comme avant. Le premier des dossiers d'une ministre de la Culture ex-ministre de la Santé, sera de desserrer l'étau sanitaire qui plombe les festivals et les lieux de spectacle vivant. Roselyne Bachelot devra juguler une seconde vague sociale et économique qui frappe le secteur culturel à hauteur de 22 milliards de pertes, soit une chute vertigineuse de 60% du chiffre d'affaires.
On ne connaît pas trop les moyens qu’elle aura à disposition. Sous le fard et la poudre, on peut craindre des solutions en forme de bouts de ficelles : crédit d'impôts, exonérations diverses… bien peu de choses en définitive pour un secteur déjà sinistré à qui on propose avant tout une calinothérapie, faute de mieux.
L'Élysée joue avec Roselyne Bachelot une carte sympathie et engagement qui ne manquera pas de peser dans les négociations et faire passer la pilule amère du désarroi et de l'absence de vision au plus haut sommet de l'État. Qu'attendre en effet de ces "États généraux des festivals", nom ronflant d’un vaste tour de table doloriste qui n’effacera pas la vérité : toutes les velléités de maintenir les manifestations se sont heurtées au mur administratif et politique des mesures d'urgence sanitaire, qui a empêché la moindre adaptation des programmes à la situation, au contraire de ce qu’on a pu constater dans d’autres pays européens.
Les dossiers en souffrance au Ministère de la Culture auraient pu faire pâlir nombre de candidats au poste : le serpent de mer des intermittents du spectacle ou de la réforme audiovisuelle, le bilan mitigé du Pass Culture, le plan bibliothèques… Et arrivé récemment au sommet de la pile, l’Opéra de Paris, après l’annus horribilis marqué par les gilets jaunes, la réforme de retraites et le coronavirus. Avec 40 millions de pertes au minimum, la grande boutique a finalement un peu aménagé sa programmation à l’instar d’autres théâtres, dont une version concert d'un Ring qui devait couronner le mandat de Stéphane Lissner et Philippe Jordan.
Alexander Neef, prochain Directeur Général devra affronter une situation inédite sous l’aile protectrice d'une ministre amatrice d’opéra qui a déjà annoncé : "Je suis une fille de l’Opéra de Paris et je vais en devenir une mère !".
Son franc-parler peut faire sourire, mais elle est bien loin d’être le perdreau de l’année : on ne peut lui faire le procès du débutant naïf en politique. Roselyne Bachelot connaît les antichambres, l'art secret des tractations et les parcours qui jalonnent toute cette diplomatie républicaine grâce à laquelle on obtient des rallonges et des arbitrages. Il y a fort à parier qu'au final, elle tirera son épingle du jeu que ce soit par une exposition médiatique revigorée de façon impromptue par la crise sanitaire, soit par une culture politique que bien des membres du gouvernement peuvent lui envier. Il n'est pas impossible que sa récente prestation devant la commission d'enquête parlementaire ait pu jouer en sa faveur… Dans la situation actuelle, le verbe haut et parfois fleuri vaut sans doute mieux qu'un diplômé en gestion et sciences économiques timoré et en retrait.
On attend donc des propositions et la défense d’une ligne qui aille au-delà de l’opéra, cet art qu’on dit désuet et dont on annonce la mort depuis des décennies, qui sert de cible économique et idéologique.
Entre un Président de la République peu concerné par l’art lyrique et des khmers verts dont certains ont déjà juré sa mort, le gueuloir de Roselyne Bachelot aura sans doute un effet : puisse-t-il avoir aussi une efficience.
Cet article a été écrit par Guy Cherqui et David Verdier