
Sandro Botticelli, le Printemps, Florence, Musée des Offices
Le printemps, c’est le moment de la renaissance de la nature, celui où tous les désirs renaissent, comme nous l’enseigne le fameux tableau de Botticelli que nous reproduisons ici, on danse, on se touche dans une nature en fleurs, sur fond d’orangers odorants. Scène qui respire une sorte de sérénité et d’espoir.
Mais en cette année 2020 « Le Printemps adorable a perdu son odeur !», comme dit Baudelaire 1. Nous sommes tous confinés dans une Europe qui en l’espèce montre devant un malheur unique et partagé ses failles et ses lâchetés – nous commencions à nous y habituer et nous en avons la confirmation – dans son incapacité à répondre ensemble au défi le plus important qu’elle rencontre depuis des décennies. On le sait, le virus n’a ni nationalité ni frontières, il est tout sauf étranger, puis qu’il est aussi un élément de la nature qui nous entoure. Certain(e)s braillent « fermons les frontières » justifiant du coronavirus comme ils/elles l’aboyaient naguère encore, « en temps ordinaire », comme si une frontière nous protégeait de quoi que ce soit. Entre la Chine et nous, les frontières existent avec autant de visa et de distance, et pourtant le coranavirus les a franchies. Fadaises que tout cela, affichage politique imbécile pour médiocres. Les murs et les clôtures sont des absurdités.
L’histoire l’a d’ailleurs montré. Mais on le sait, les leçons de l’histoire sont rarement suivies. Se confiner chez soi et s'isoler au maximum n'a rien à voir avec des gestes qui ici, sont plus politiques que sanitaires.
La musique en revanche, tout comme l’art, n’a pas, n’a jamais eu de frontières. La Dame à l’Hermine de Leonard de Vinci est confinée à Cracovie comme le Printemps de Botticelli l’est aux Offices ou La Joconde au Louvre, interdits en ce moment à notre vue, œuvres d’art qui appartiennent à tous et qui n’ont jamais eu de « nationalité ». Le mélomane confiné a, lui, au moins la chance de pouvoir écouter ses musiques encore aujourd’hui chez lui ou en streaming.
Car le printemps pour le mélomane est la saison des Festivals de Pâques, tous annulés, des annonces de saison, qui font d’autant plus rêver que l’espoir qu’elles aient lieu reste obéré par les évolutions de l’épidémie, et on peut s’interroger sur les Festivals d’été, à cause de la préparation, des répétitions, des confinements, de l’internationalité des participants, dépendant des conditions auxquels techniciens ou artistes sont soumis.
Oui, le Printemps adorable a perdu son odeur…
Pourtant, la plupart des institutions musicales ont mis à disposition des mélomanes confinés leurs réserves d’enregistrements en streaming, et l’on peut se composer un programme rêvé d’opéra, de ballets, de concerts. L’initiative en est revenue aux Berliner Philharmoniker qui les premiers ont ouvert le Digital Concert Hall, véritable coffre aux merveilles du plus grand des orchestres, bientôt suivie par tous les grands opéras ou les grands orchestres, quand ils ont des archives vidéo en ligne aisément diffusables.
Et puis il y a la merveilleuse initiative d’un des plus grands pianistes de ce temps, Igor Levit, qui à ses qualités exceptionnelles d’artiste ajoute un amour de l’humain, un sens du rôle de l’artiste dans la cité, un espoir en l’homme chevillé au corps qui ne peuvent que susciter l’admiration dans un monde bien gris et bien médiocrement humain. Il a proposé, en direct de chez lui, un concert de piano au quotidien entre 18h et 19h, dans des conditions qui démontrent la prééminence et l’essentialité du don, au niveau individuel certes, mais aussi social avant toute autre considération technique. Le don est en effet un phénomène social et anthropologique tel que le définissent les anthropologues après l’Essai sur le don de Marcel Mauss 2, le don comme antiutilitaire. Alors abonnez-vous vite au compte twitter d’Igor Levit @igorpianist.
Évidemment, des sites comme le nôtre pourraient être bien en panne de nourriture, mais ce n’est pas le cas pour l’instant, car beaucoup d’articles sur des concerts ou des opéras vus depuis janvier dernier sont dans les cartons, inachevés ou sous forme de plan, et les nouveaux articles ne manqueront donc pas dans les prochaines semaines sur les espaces Wanderer, aussi bien sur Wanderersite que sur le Blog du Wanderer ; la période est aussi propice à la réflexion sur l’avenir et sur les nouveautés que nous pourrions offrir à nos lecteurs fidèles, mais aussi sur de nouveaux articles, de réflexion ou d’analyse.
Elle est plus généralement propice à la lecture, car si les théâtres sont fermés, les livres sont dans les rayons, prêts à être lus ou relus. Ce satané virus nous laisse malgré tout une denrée rare, très précieuse en ces périodes noires, le temps. A défaut d’être des Wanderer dans l’espace physique, soyons le dans l’espace mental et faisons donc en sorte ainsi que le printemps retrouve son odeur.
References
1. | ↑ | Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen et idéal, Poème LXXX, Le goût du néant |
2. | ↑ | Marcel Mauss, Essai sur le don, PUF, Paris 2013 |
Cet article a été écrit par Guy Cherqui et David Verdier