Historically-informed performance concept… derrière la complexité de la formule, une idée pas vraiment nouvelle mais qui permet à Wagner de rejoindre la longue liste des musiciens "historicisés" par les tenants d'une authenticité interprétative. Née dans les années 60 du siècle dernier, la vague baroqueuse avait commencé par ressusciter des chefs‑d'œuvre ternis par la tradition et la routine. Avide de faire reconnaître le droit à l'historicité au-delà du seul répertoire de la musique ancienne, les Harnoncourt, Herreweghe et les Brüggen n'ont pas tardé à étendre leur domaine au romantisme, avec quelques incursions dans le XXe siècle. Loin d'un caprice ou d'une simple mode, cette approche a depuis prouvé son intérêt – et parfois ses limites.
En annonçant il y a quelques jours son intention de diriger une Tétralogie "historiquement informée", Kent Nagano relève un défi assez difficile dans lequel peu de chefs ont refusé de rentrer. Wagner constitue avec Beethoven et le Stravinsky du Sacre du printemps, un moment-charnière de l'histoire de la musique. Il y a un avant et un après, comme un seuil que l'on franchit à condition de changer radicalement de regard. Roger Norrington, Bruno Weil et plus récemment Marc Minkowski avaient inscrit Wagner à leur programme, sans que l'on puisse pour autant parler de révolution éclatante.
Le projet Wagner Lesarten 1 est issu d'une collaboration avec le Concerto Köln et la Musikhochschule de Cologne qui sera portée sur les fonts baptismaux dès septembre prochain, pour des représentations prévues en 2020–21. En combinant la réflexion musicale avec la question de la facture instrumentale, le style de chant et même la mise en scène, cette entreprise se veut délibérément ambitieuse. Souhaitons que l'ambition ne se heurte pas à des clichés au mieux poussiéreux, sinon hilarants, à considérer par exemple la minutie "historicisée" d'un acte III des Maîtres chanteurs de Nuremberg 2 coréalisé en 2012 par l’Opéra de Paris et la Haute Ecole de Musique de Genève par Rémy Campos et Aurélien Poidevin. Le respect du détail authentique contrevient à l'entreprise de reconstitution et finit par convaincre que ce Wagner-là ne nous parle décidément pas.
Wagner mérite mieux qu'une reconstitution scrupuleuse qui l'éloignerait de nous, sans rien apporter de neuf. De l'aveu même de ses contemporains, Wagner était le premier à se plaindre des contraintes qui pesaient sur les conditions dans lesquelles ses œuvres furent créées. Certaines archives sonores ont été captées dans les années qui ont suivi la disparition de Wagner. En dehors de leur valeur documentaire, ces traces témoignent surtout de l'indigence du chant wagnérien, tel qu'il résonne à nos oreilles contemporaines. Ce sont, certes, des documents techniquement très imparfaits, des orchestres miniatures et des chanteurs enregistrés trop tardivement, mais on décèle facilement le bouleversement qu'a pu occasionner l'écriture wagnérienne sur des interprètes rompus à un répertoire plus traditionnel. Le projet Wagner Lesarten pose également le problème de la facture instrumentale. Le concerto Köln pourra – au mieux – imiter le son qui aurait pu sortir de la fosse de Bayreuth. Qu'en aurait pensé Wagner lui-même ? On s'interroge aussi sur l'intérêt de voir ressurgir des décors en toiles peintes et des Walkyries montées sur des chevaux de bois…
Au-delà des intentions louables et de la validité scientifique de l’entreprise, elle montre aussi une tendance du jour à multiplier les opérations visant à renouveler l’intérêt pour un répertoire sans cesse repris par les théâtres, tout comme la recherche de titres enfouis sous les sables et les exhumations souvent sans lendemain. Ces entreprises ne masquent-elles pas un tarissement de la création, un épuisement du genre et un public à déblaser ? Étonnez-nous car nous ne demandons qu’à être surpris !
Kent Nagano saura-t-il nous surprendre ? Pour lui comme pour nous, il s'agira tout d'abord de désapprendre notre Wagner pour pouvoir l'accepter historiquement revu et "informé" loin – nous l'espérons – des vapeurs de naphtaline et d'encensoir, et loin des conquêtes inutiles.
References
1. | ↑ | http://wagner-lesarten.de |
2. | ↑ | http://data.bnf.fr/42653752/les_maitres_chanteurs_de_nuremberg_spectacle_2012/ |
Cet article a été écrit par Guy Cherqui et David Verdier