Cet automne, les violons ont encore longuement sangloté.
On ne compte plus les fermetures de théâtres et salles de concert qui ont marqué la fin du mois d’octobre. Ainsi du Ring parisien en version de concert, enregistré en mode confinement pour une diffusion radio ultérieure, ainsi de la Salomé de Warlikowski, à la trappe ou du Candide de Genève envolé dans un jardin lointain etc… Seul ou presque, le Teatro Real de Madrid a présenté une nouvelle production, Rusalka, et nous avons évoqué dans ce site les derniers soubresauts musicaux de Stockholm. Ce paysage désolé s’est douloureusement répété, un peu partout.Le réveil – au moins en France – se prépare, tandis que l’Allemagne continue sa clôture et que l’Italie ne semble pas décidée à rouvrir ses lieux de plaisir. Néanmoins, on a vu de-ci de-là, des théâtres proposer les productions prévues en streaming sans public : en France, l’Opéra-Comique avec Hippolyte et Aricie a réuni 42000 spectateurs en ligne, soit à la louche l’équivalent de 28 représentations complètes. Et cela fait méditer…
Dans un monde idéal où les questions de contrats de diffusion, de droits etc. seraient aplanis, on pourrait imaginer que les nouvelles productions de nos grands établissements soient proposées « parallèlement » en streaming, en direct, pour que les spectateurs qui ne pourront aller au théâtre puissent néanmoins y assister, moyennant éventuellement une participation modique. Après tout, les grands Festivals le font déjà. C’est une piste possible de diffusion des productions des grands théâtres pour assurer leur rayonnement et répondre à leur devoir de diffusion, trop timide le plus souvent. C’est aussi une piste pour nos théâtres publics nationaux : bien peu de diffusion des productions de la Comédie Française, encore moins de la Colline, encore moins de l’Odéon.
Il est clair que sur les ailes de la pandémie, le numérique a fait une entrée assez fracassante dans le monde du spectacle plus très vivant mais vivace en tous cas. Le streaming est une des pistes possibles pour élargir l’assise des institutions culturelles en France et ailleurs. Mais le doublement des spectacles en direct par une captation diffusée en streaming exige des moyens et des équipes techniques. Élaboré à l'initiative la regrettée Eva Kleinitz, le site operavision.eu diffuse une offre lyrique en provenance de toute l'Europe, y compris des maisons d'opéra pas forcément prestigieuses. Arte concert se fait le relai de l'actualité musicale et complète l'offre du streaming gratuit. L’Opéra de Munich possède dans ses rayons un certain nombre de spectacles qui font archive, le MET également, Vienne aussi mais un peu moins. Ces trois institutions proposent des offres en VOD (en accès limité ou sur plusieurs semaines) qui permettent de rentabiliser quelque peu les diffusions. L’Opéra de Paris n’en est pas là, qui a arrêté depuis longtemps les retransmissions, encore moins la Scala, hélas, même si la RAI a un certain nombre de trésors historiques et que les « Prime » du 7 décembre font l’objet de reprises.
La retransmission est une piste possible, mais pas une solution qui résoudrait tous les problèmes. Ces vidéos répondent à la fonction « patrimoniale » de nos grands établissements de référence, elles ne sauraient se substituer à l’expérience du spectacle direct qui doit rester cette expérience artistique et sociale irremplaçable : seul un technocrate sans imagination ni envie (mais il n’y en a pas) pourrait y voir seulement une solution ou une réponse à la question lancinante de la diffusion. Plus riche serait une création numérique spécifique autour des productions en cours, au-delà des retransmissions des documentaires et autres Making Off. L’imagination ne semble pas au pouvoir dans ce domaine et pourtant le champ des possibles paraît immense, tant désormais les productions numériques de tous ordres partent dans des directions fascinantes.
Cela suppose une refonte des process de communication, peut-être aussi un élargissement que ce qu’on pourrait demander à une équipe de mise en scène : spectacle et dérivés.
Tout cela est en friche, mais peut constituer, crise du Covid aidant, une part de l’avenir du spectacle vivant ou, du moins, un complément. Mais pour l’instant, et avant de rêver un peu, préparons-nous à retourner dans les salles. C’est un besoin essentiel.
Cet article a été écrit par Guy Cherqui et David Verdier