Vincenzo Bellini (1801-1835)
I Puritani (1835)
Opera seria in tre atti
Livret de Carlo Pepoli, d'après le drame historique Têtes rondes et Cavaliers
de Jacques-François Ancelot et Joseph Xavier Boniface
Création: Paris, Théâtre Italien, 24 janvier 1835
Direction musicale Roberto Abbado
Mise en scène Andrea De Rosa
Décors Nicolas Bovey
Costumes Mariano Tufano
Lumières Pasquale Mari
Chef des chœurs Roberto Gabbiani
Elvira Valton Jessica Pratt
Lord Arturo Talbot John Osborn
Sir Riccardo Forth Franco Vassallo
Sir Giorgio Valton Nicola Ulivieri
Lord Gualtiero Valton Roberto Lorenzi
Sir Bruno Roberton Rodrigo Ortiz
Enrichetta di Francia Irene Savignano
Orchestra e Coro del Teatro dell’Opera di Roma
Nouvelle production
Une leçon de raffinement, l’interprétation offerte par le chef d'orchestre Roberto Abbado, sur le podium de I Puritani à l'Opéra de Rome. Sous sa direction, grâce à sa capacité à impliquer et à motiver l'orchestre et le chœur, ainsi que la distribution plutôt bien choisie, une lecture a émergé qui a pleinement éclairé les particularités de la partition de Bellini. On ne peut pas en dire autant de la mise en scène et de la réalisation scénique, conçues pour l’essentiel sur des schémas génériques, en gros décalage avec la qualité de la performance musicale.
L’œuvre de Bellini manquait à Rome depuis plus de trente ans. Il faut se rappeler que I Puritani est un chef‑d'œuvre aujourd'hui rarement représenté, malheureusement, en raison de la difficulté à réunir une distribution de haut niveau capable de l'interpréter. Le Teatro dell'Opera y a donc réussi, par une réalisation de très grande qualité musicale même si scéniquement très modeste.
Ce qui émerge d’abord, c’est la direction d'orchestre de Roberto Abbado, de très grande qualité. Avec sa démarche ductile, fluide et sensible, le chef milanais a baigné la partition de Bellini d’une lumière très particulière, mettant en évidence tout le poids de l'écriture orchestrale, complexe et articulée, tout autre qu'un simple accompagnement de la partition vocale. Dernier opéra du compositeur de Catane – conçu à partir d'avril 1834 et mis en scène en janvier 1835 au Théâtre Italien de Paris, où le musicien devait mourir en septembre – I Puritani a été également influencé, par la densité et l’articulation de la partition, par les conseils qu'il reçut directement de Rossini. Ici, l'éventail des ressources expressives est si vaste que Bellini a toujours su trouver la température la plus appropriée, tant pour représenter efficacement chaque moment de la dramaturgie que pour lisser et tisser le profil vocal
Soutenu par une conscience particulièrement approfondie des nécessités de l’interprétation, Roberto Abbado concentre et éclaire de manière appropriée les rythmes et les couleurs de chaque épisode, liant pour chacun dans la suite de l’histoire les significations et leur rôle dramaturgique. Sous sa direction, l'opéra n'apparaît donc pas seulement comme un coffre au trésor de mélodies sublimes, mais plutôt comme une fresque organique d'une efficacité théâtrale intense et incisive. Et même les pauses imprimées au flux général ont créé une intensité particulière, notamment dans les moments très attendus comme le duo qui sonne très « Risorgimento » 1 Suoni la tromba, et intrepido, qui clôt le deuxième acte. On appréciera également, de la part de Roberto Abbado, le choix de la version complète de l'opéra, respectant tous les da capo, telle qu'elle a été cristallisée par l'auteur lui-même à la veille de la "première" parisienne, expurgée de trois épisodes qui l'allongeaient considérablement. Une certaine perte de tension, de temps en temps, est inévitable étant donné la longueur ; mais cela s'est avéré être un choix bien préférable aux coupures qui sont habituellement faites dans les productions modernes, et qui n’aident en rien à la fonctionnalité dramaturgique.
Dans le rôle d'Elvira, Jessica Pratt a confirmé sa maîtrise du rôle, récoltant une fois de plus un triomphe convaincu du public romain, qui la compte désormais parmi ses chanteuses préférées. Grâce à son incontestable assurance technique, la soprano australienne a su gérer la virtuosité et les coloratures de son personnage, auquel elle a prêté des accents d’une profonde intensité. Il faut cependant noter qu'au début de l'opéra, en plus d'une certaine tension dans certains passages aigus, son volume vocal semblait limité. Ces ombres se sont dissipées dans les actes suivants, qui voient Pratt pleinement dans son rôle, et capable de faire élever notablement la température émotionnelle.
John Osborn a montré dans son interprétation d'Arturo une intelligence subtile. Se gardant de toute démonstration de bravoure, et du mythique et hors sujet contre fa du final, le ténor américain a offert un modèle de bel canto. La suavité enchanteresse avec laquelle Osborn a tissé un rôle à l'équilibre difficile, parsemé de pièges, a donné à son Arturo une élégance particulièrement délicate. Du début à la fin, le ténor a étonné, dominant ce rôle impossible en une succession de dynamiques soignées et veloutées, avec un savant dosage des couleurs. Cela lui a permis de faire émerger tous les accents de manière stupéfiante, en maîtrisant tout autant le le chant piano et les aigus qui parsèment tout le rôle.
Toute autre la dimension interprétative de Franco Vassallo dans le rôle de Riccardo, très bien rendu dans une vocalité presque verdienne pour la plénitude et la rondeur du timbre, avec peut-être quelques moments un peu trop impulsifs et un peu trop généreux. Magnifiques les accents de Nicola Ulivieri qui prête à son Giorgio Valton une particulière grandeur, sur une ligne qui rend la noblesse de la mélodie mélodique avec juste mesure.
Et Irene Savignano a également fait une belle impression dans le rôle d'Enrichetta, à qui la récupération des pages habituellement coupées a redonné une dimension de protagoniste, bien incarnée par le jeune soprano. Les performances des rôles de complément Roberto Lorenzi (Gualtiero Valton) et Rodrigo Ortiz (Bruno Robertson) ont également fait honneur à l’ensemble
Comme toujours, Roberto Gabbiani a parfaitement préparé le chœur, qui était impeccable. Il est cependant difficile de supporter son immobilité dans l’espace scénique, disposé symétriquement sur les côtés de la scène principale et divisé en sections. Ce qui nous amène directement à la mise en scène, signée par le metteur en scène Andrea De Rosa. Le moins que l'on puisse dire, en vérité, c’est qu’il s'agit d'un projet scénique vraiment ordinaire, et pauvre en idées. La scénographie de Nicolas Bovey a placé en arrière-plan, au-dessus d'une courte volée de marches, des murs aussi imposants qu'anonymes, sous les arches desquels se résolvent les allées et venues. Au troisième acte, la scène est occupée par deux grands panneaux lumineux, articulés l'un à l'autre : l'un au sol, où agissent les personnages, et l'autre qui monte et descend, comme un sandwich qui se ferme. C’est tout, entre les lumières de Pasquale Mari et les costumes insipides de Mariano Tufano.
Ordinaire et générique, donc, le mouvement des personnages. Seulement deux inspirations dignes de mention, dans la mise en scène. Une réussite, celle du grand voile de mariage qui devient aussi un tapis sur lequel volent les pétales de fleurs, à bon escient. Et l’autre, assez nulle sinon ridicule, de l'auto-aveuglement d'Elvira, lorsqu'elle perd la raison. Une citation sophocléenne, ou plutôt un gimmick, qui s'évapore cependant dans le final, lorsque les deux amants se retrouvent joyeusement.
References
1. | ↑ | Le Risorgimento : ainsi s’appelle la lutte pour l’indépendance de l’Italie au milieu du XIXe |
Cet article a été écrit par Francesco Arturo Saponaro