« Markus Lüpertz, le faiseur de dieu »,
du 5 mars au 4 septembre. Peintures, dessins et sculptures au musée des Beaux-arts d’Orléans ; sculptures monumentales dans le centre-ville d’Orléans.
Commissariat général : Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans
Exposition conçue avec le concours de la Galerie Michael Werner
Catalogue à paraître en juin
Se qualifiant de Bildmaler, peintre d’images, l’artiste allemand Markus Lüpertz est doublement présent à Orléans jusqu’à la rentrée, grâce à ses peintures, dessins et sculptures, exposés non seulement au musée des Beaux-arts de la ville, mais également dans les rues et jardins. Parce que l’art allemand contemporain ne se limite pas à Baselitz ou à Anselm Kiefer.
Si l’on excepte Anselm Kiefer, installé en France depuis de nombreuses années, la peinture allemande est aujourd’hui dominée par un aigle à deux têtes. L’une de ces deux têtes, peut-être la plus connue, s’appelle Georg Baselitz (né en 1938), artiste honoré par une exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris en 2011, et plus récemment par une rétrospective au Centre Pompidou qui se termine le 7 mars ; l’autre tête est Markus Lüpertz (né en 1941), également célébré au MAMVP, au printemps 2015, et aujourd’hui mis à l’honneur dans la ville d’Orléans, dans ses rues ainsi que dans son musée des Beaux-arts.
Car, comme son contemporain et ami Baselitz, Markus Lüpertz est à la fois peintre et sculpteur. Peintre depuis les années 1960, sculpteur depuis les années 1980. Wanderer aurait même pu s’intéresser à lui pour un autre de ses titres de gloire, puisqu’il a, au mois de mai 2021, réalisé la mise en scène, les décors et les costumes d’une production de La Bohème au Staatstheater de Meiningen, en Thuringe. Egalement musicien – pianiste, il dirige un ensemble de free jazz – Lüpertz se déclare prêt à monter d’autres opéras dès qu’on le sollicitera. Et si on cherche bien, on apprend aussi qu’il a publié des poèmes, dont un recueil entier est disponible en français (Narcisse et Echo, publié en 2020 par L’Atelier contemporain).
A Orléans, même s’il donnera un concert le 18 juin, c’est néanmoins comme artiste visuel que Markus Lüpertz est présent. Pour la première fois, ses sculptures sont présentées non dans un espace muséal, mais à différents endroits de la ville : les Orléanais ne sauraient ignorer la présence de l’artiste, et pas seulement dans ces jardins publics où l’on a l’habitude depuis longtemps d’introduire des œuvres destinées au plein air, mais y compris aux carrefours et devant des édifices emblématiques. De part et d’autre de la cathédrale ont été placées deux de ses premières statues : Le Berger (1986), thème à la fois païen – inspiré de l’Hermès criophore – et chrétien – « Le Seigneur est mon berger » – que l’artiste a voulu situer à un endroit d’où l’œil aperçoit à la fois la synagogue et le lieu du culte catholique, et un Saint-Sébastien dépourvu de flèches mais dont le visage coloré veut renvoyer lui aussi à la Grèce archaïque, à l’époque où toute la sculpture est polychrome. Les statues les plus peintes sont celles de 2010, l’Hercule présenté dans le jardin de l’Hôtel Groslot (une autre version est visible dans le musée) et l’Athéna sans bras, au péplum en tôle ondulée qu’accueille la cour de l’Hôtel Cabu. Les abords du musée offrent une Daphné et un Fragonard, et l’Achille qui marche d’un rond point vers la cathédrale, tandis que le parc Pasteur présente trois sculptures : une version du Mozart commandé par la ville de Salzbourg (où l’œuvre a fait scandale à cause de son corps féminin surmonté d’une tête emperruquée), une Judith et un Ulysse.
On le comprend vite à la lecture de cette série de titres, Markus Lüpertz aime faire référence à la mythologie classique, et c’est cet aspect que paraît souligner le titre de l’exposition : « Le faiseur de dieux ». Lorsque l’on pénètre dans le musée des Beaux-arts d’Orléans, on a rapidement la confirmation que l’univers des divinités grecques est celui où le peintre s’épanouit. Pourtant, on s’interroge en constatant que la série « Arcadie » entreprise dans les années 2010 accueille la même silhouette féminine, tantôt tournée vers la gauche, tantôt tournée vers la droite, dans un paysage méditerranéen fantasmé, mer d’un bleu limpide, collines verdoyantes, et que le nom de l’héroïne change à volonté : Diane, Nausicaa, Circé, comme si tous ces personnages se rejoignaient. Déjà, la statue de Daphné à l’entrée du musée avait de quoi intriguer : il y a certes une plante en fleurs à côté de la jeune femme, mais pas de métamorphose en cours, et si Apollon il y a, faut-il le reconnaître dans la tête sur laquelle le personnage principal pose le pied ?
En fait, Lüpertz ne s’intéresse pas à la narration : il choisit des formes, il crée une atmosphère, et il laisse au visiteur le soin d’imaginer lui-même une histoire. Les formes, il les emprunte parfois à d’autres peintres qui l’on précédé : Puvis de Chavannes, qu’il admire, et dont il utilise beaucoup la barque du Pauvre pêcheur, ou David, à qui il reprend le torse de dos appartenant au Patrocle du musée de Cherbourg. Ces deux éléments se télescopent à plusieurs reprises, comme dans Le Bateau rouge ou La Haute Montagne, deux œuvres de 2013. Les corps sont là pour peupler les paysages que Lüpertz peint d’abord : la première salle de l’exposition montre ainsi cinq petites vues du lac de Siethen, où se mettent en place les blocs de couleur correspondant à l’eau, aux arbres et aux berges, et deux grandes toiles qui superposent au lac deux nus, le titre devenant alors Séduction ou Dante + Béatrice.
Aux côtés de ces silhouettes « arcadiennes », le peintre rapporte parfois quelques objets symboliques déjà présents dans son univers, notamment le casque hitlérien, le crâne tout droit sorti des Vanités, ou le coquillage. Et tout comme, dans sa sculpture, Lüpertz déclare aller à l’encontre de la perfection de l’art grec classique pour revenir à la raideur des formes archaïques, dans sa peinture, on ne trouvera pas le poli, le léché qui le ferait rejoindre les spécialistes germaniques des scènes mythologiques au XIXe siècle, comme Anselm Feuerbach ou Hans von Marées : les coups de pinceaux sont délibérément visibles, avec force coulures, le fonds nu de la toile ou du papier est parfois apparent. Dans les années 1960, l’artiste appelait ses toiles « Dithyrambes », du nom des poèmes faisant l’éloge de Dionysos, et c’est un peu l’ivresse du culte bacchique qu’il prétend retrouver.
Outre les sculptures et les peintures, le musée des Beaux-arts d’Orléans propose aussi, dans ses cabinets d’arts graphiques, une sélection de dessins de Markus Lüpertz permettent de poursuivre l’exploration de l’univers créatif de l’artiste, qu’il s’agisse de dessins préparatoires à des œuvres en deux ou trois dimensions, ou de pastels témoignant des différentes étapes de la réalisation d’une statue monumentale comme son Hercule de dix-huit mètres de haut. De quoi aider le spectateur à déchiffrer ces énigmes que Markus Lüpertz affirme proposer, chacun ayant la liberté – ou l’obligation – d’interpréter l’œuvre pour lui donner le sens qui lui convient.
© ADAGP 2022
Cet article a été écrit par Laurent Bury