Molière, sa majesté l’acteur.
Texte de Pierre Senges, illustrations de Serge Bloch.
Arnaud Marzorati, récitant
Ensemble Les Lunaisiens ; Les Pages du CMBV.
Livre-disque : 78 pages. Editions La Joie de Lire. ISBN 978-2889085767, 24,90 euros, mars 2022.
Faire découvrir l’univers de Molière aux enfants, sans les ennuyer, sans les surcharger d’informations historiques, tel est le pari du livre-disque Molière, sa majesté l’acteur. Une plongée dans le Paris des années 1630 et dans le monde des comédiens, illustrée par le père de « SamSam, le plus petit des grands héros », avec le soutien musical des Pages du Centre de musique baroque de Versailles.
En cette année de quatrième centenaire, alors que la Comédie-Française propose une programmation 100% Molière ou presque, alors que l’industrie du disque célèbre les liens du dramaturge avec Lully ou Charpentier, le monde de l’édition n’est évidemment pas en reste, et surtout pas le secteur le plus dynamique depuis plusieurs années : le « livre jeunesse ». Molière, sa majesté l’acteur est un livre-disque illustré qui propose une manière originale d’approcher le personnage, une démarche à la fois patrimoniale et inventive. Autant prévenir tout de suite les parents qui chercheraient à inculquer à leurs chères têtes blondes de solides bases historico-littéraires, ce n’est pas dans cet album qu’ils les trouveront ; en revanche, ceux qui sont prêts à laisser vagabonder la fantaisie des petits lecteurs-auditeurs pourront se laisser conquérir.
Commençons par le texte, signé Pierre Senges. Musicien de jazz, auteur d’une vingtaine d’ouvrages parus depuis 2000, il est aussi le librettiste de quatre œuvres lyriques qui ne se rangent pas tout à fait dans la catégorie opéra, pour lesquels il a collaboré avec des compositeurs tels que Francesco Filidei ou Alexandros Markeas. Pour les éditions La Joie de Lire, il a déjà écrit un ouvrage destiné aux jeunes lecteurs, Le Singe et l’épouvantail, paru en janvier 2021 et également adapté en spectacle à l’Opéra de Rouen. Dans ce volume, le premier que Pierre Senges ait écrit pour des enfants, il s’agissait de commémorer un autre quadricentenaire, celui de La Fontaine. Si Le Singe et l’épouvantail prenait la forme d’une fable animalière (sans autre prétention au pastiche), Molière, sa majesté l’acteur ne se présente pas comme une fausse pièce de Molière, mais comme une aventure dont le jeune Jean-Baptiste Poquelin est le héros. Une histoire purement imaginaire qui nous fait parcourir le Paris des années 1630, sous le règne de Louis XIII, et plus spécifiquement le Jeu de Paume du Marais, site d’un théâtre où se produisait une troupe rivale de celle de l’Hôtel de Bourgogne, qui allait créer Le Cid en 1637, après avoir monté les premières comédies de Corneille. Jean-Baptiste y rencontre notamment le grand acteur Guillaume Desgilberts, sieur de Montdory (1594–1653), premier interprète du rôle de Rodrigue. Pierre Senges suppose que le futur Molière se serait dès lors initié aux ficelles du métier de comédien : historiquement, on ne sait guère comment Poquelin découvrit cet univers avant de fonder la troupe de l’Illustre Théâtre avec les Béjart. Le récit s’accorde donc la liberté d’inventer ce premier contact, auquel s’ajoute une intrigue amoureuse et des démêlés avec la justice, Jean-Baptiste ayant participé à la conception d’une chanson séditieuse. Mais tout finira bien grâce à la magie du théâtre.
Les images sont dues à Serge Bloch (pour Le Singe et l’épouvantail, il avait été fait appel à l’illustratrice Albertine). Grâce au succès de séries comme Max et Lili et surtout SamSam, le style de cet artiste est bien connu des jeunes lecteurs. En partie à base de collages, avec des personnages comme aurait pu en dessiner Dubuffet, ses illustrations ne sont pourtant pas forcément très attrayantes, avec leur palette limitée à quelques couleurs relativement ternes, mais on pourra les trouver amusantes par leur côté caricatural, notamment dans la représentation de la maréchaussée.
Enfin, il y a le disque où toute cette histoire est contée, et qui atteint à peu près la durée maximale possible sur un CD : 79 minutes et 11 secondes. Autant dire que, pour des jeunes lecteurs/auditeurs, il faudra sans doute prévoir une dégustation fragmentée. On remarque néanmoins une différence appréciable par rapport au livre consacré à La Fontaine : dans Molière, sa majesté l’acteur, le texte imprimé dans le livre et le texte enregistré sur le disque sont rigoureusement identiques, ce qui apparaît comme tout à fait souhaitable pour aider de jeunes lecteurs. Arnaud Marzorati le déclame avec une diction toujours parfaitement claire, ce qui est aussi une grande qualité pour de jeunes auditeurs, mais il n’oublie évidemment pas de jouer les différents personnages qui interviennent dans cette histoire.
Le texte est entrecoupé de nombreuses pages musicales dont le texte est de Pierre Senges « sur des airs anciens remodelés pour l’occasion », arrangements assurés par Arnaud Marzorati à partir « d’œuvres populaires des XVIIe et XVIIIe siècles à l’exception de la Fürstenberg, pièce instrumentale anonyme de la fin du XVI 9e siècle, et les Folies d’Espagne, d’après des variations de Marin Marais ». Comme c’était déjà le cas pour Le Singe et l’épouvantail, l’interprétation en est assurée par Les Lunaisiens, l’ensemble instrumental que dirige Arnaud Marzorati (cinq musiciens jouant de la sacqueboute, du serpent, du théorbe, de la harpe et des percussions), et par les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, d’où se dégagent quelques solistes anonymes. L’auditeur adulte pourra trouver que, dans certains passages, les accents de la musique ne coïncident pas tout à fait à ceux du texte, et s’étonner de l’omission systématique des liaisons au pluriel (« Marchands de dindes et de chapons » est chanté comme s’il s’agissait de l’octosyllabe « Marchands de dinde et de chapons »), mais cela ne devrait pas tourmenter les principaux destinataires de ce livre-disque.
Cet article a été écrit par Laurent Bury