Johannes Brahms (1833-1897)
Trio pour piano et cordes n°2, op.87
Trio pour piano et cordes n°3, op.101
David Haroutunian, violon
Mikayel Hakhnazaryan, violoncelle
Sofya Melikyan, piano
1 CD Rubicon Classics– TT 49’27
Le label Rubicon réunit David Haroutunian, Mikayel Hakhnazaryan et Sofya Melikyan pour un projet d’intégrale des Trios pour piano de Brahms, qui s’ouvre ici par un enregistrement des Trios n°2 et n°3. Les musiciens en livrent une lecture cohérente, unifiée, qui manque par moments d’élan mais où les interprètes ont l’occasion de montrer de vraies qualités expressives : de belles perspectives pour la suite de l’intégrale et de futurs projets discographiques.
Fin novembre est paru sous le label Rubicon le premier volet d’un projet « Tout Brahms » porté par David Haroutunian (violon), Mikayel Hakhnazaryan (violoncelle) et Sofya Melikyan (piano), dont le premier album est consacré aux Trios pour piano n°2 et n°3 du compositeur. Ces trois musiciens jouent régulièrement ensemble sur scène mais se retrouvent pour la première fois au disque, autour d’un compositeur qu’ils connaissent bien et autour d’œuvres qu’ils interprètent depuis longtemps.
On sait la place centrale qu’occupe la musique de chambre dans la production de Brahms. On sait aussi à quel point il a pu être critique envers ses propres œuvres ; et pourtant, son deuxième trio pour piano et cordes semble avoir échappé à la règle à en croire la correspondance du compositeur avec son éditeur Nikolaus Simrock, où il se félicite de cette partition. Sans doute est-ce parce que Brahms, lorsqu’il ébauche ce trio en mars 1880, a déjà amplement composé dans le genre de la musique de chambre – quatuors, quintette, sextuors. Parce qu’il est arrivé, également, au stade de la maturité qui annonce les deux dernières symphonies. On trouve dans ce Trio pour piano n°2 une profusion d’idées thématiques parfaitement circonscrites dans l’espace de l’œuvre, un jeu libre et fluide avec la forme sonate, un parcours tonal souvent surprenant mais qui sert l’expressivité… Le compositeur est à cette période de sa vie à un sommet à la fois de maîtrise et d’inventivité, qui s’incarne en une demi-heure de musique.
On entend parfois le premier mouvement joué avec des accents incisifs et mordants, avec une interprétation musclée du piano, mais David Haroutunian, Mikayel Hakhnazaryan et Sofya Melikyan privilégient au contraire un jeu très legato, des phrases très étirées, une densité du son d’ensemble. Il nous manque malgré tout un peu d’élan et des appuis plus soulignés pour donner davantage de relief au mouvement, mais on apprécie que le violon et le violoncelle, que Brahms fait parler comme d’une seule voix face au piano, accordent autant leurs timbres jusqu’à se fondre l’un dans l’autre. L’Andante, avec son thème et ses variations, est construit sur un dialogue assez similaire entre les cordes d’un côté et le piano qui leur répond : les musiciens mènent ce mouvement lent avec beaucoup de lyrisme, notamment grâce aux très beaux phrasés du violoncelliste (tout particulièrement dans le 6/8). On aurait en revanche aimé avoir davantage de contrastes (dynamiques surtout) d’une variation à l’autre ; car les interprètes laissent entendre dans les dernières mesures de l’Andante de belles qualités expressives qui se confirment dans le Scherzo, où leur musicalité trouve pleinement à se faire entendre. Brahms offre en effet dans ces pages l’occasion de développer une large palette expressive, du Presto explosif avec ses larges crescendos au Trio chantant et lumineux qui lui répond. Le finale convainc lui aussi tout à fait, les musiciens jouant avec les contrastes et soulignant bien les oscillations entre majeur et mineur, pour un dernier mouvement affirmé et où chaque instrument assume avec force sa partie.
C’est avec encore plus de concision et de variété dans l’écriture que Brahms compose en 1886 le Trio pour piano n°3. En vingt minutes de musique, le compositeur parcourt tant de thèmes, de nuances, d’atmosphères que la pièce nécessite une attention toute particulière pour en assurer la fluidité et la cohérence. A la densité de l’Allegro initial répondent ainsi un Presto non assai, tout en piani, et la délicatesse absolue du thème de l’Andante : ce dernier est un moment de respiration précieux dans le déroulé de l’œuvre, que David Haroutunian, Mikayel Hakhnazaryan et Sofya Melikyan rendent avec un beau sens de l’équilibre entre les voix, avec une délicatesse aussi dans l’interprétation et les phrasés voulus par le compositeur. Ce Trio réussit aux musiciens parce qu’il fait entendre la densité de leur jeu d’ensemble, la profondeur des cordes, et parce que les interprètes tirent davantage d’occasions de se faire entendre individuellement. Ce qui a pu nous manquer en dynamiques et en élan dans la première œuvre laisse ici place à un jeu assez musclé sans être lourd, et qui assume davantage les effets de rupture de la partition. On sent également une vision d’ensemble à l’échelle du mouvement qui construit un arc narratif bien maîtrisé : c’est précisément ce dont on a besoin dans une pièce aussi complète et variée, pour que le propos musical garde une forme d’unité et de cohérence malgré les contrastes.
David Haroutunian, Mikayel Hakhnazaryan et Sofya Melikyan posent avec ce premier album des bases intéressantes et solides pour l’intégrale des Trios pour piano de Brahms, et de manière plus générale pour une discographie amenée à s’étoffer bientôt. Les trois musiciens devraient en effet enregistrer, toujours chez Rubicon, un disque consacré à la musique de chambre arménienne : après le « maître » Brahms, tout un pan de répertoire à découvrir pour les auditeurs.
Cet article a été écrit par Claire-Marie Caussin