« Hippolyte, Paul, Auguste : Les Flandrin, artistes et frères »
Exposition au Musée des beaux-arts de Lyon, du 19 mai au 5 septembre
Commissaires :
Elena Marchetta, conservateur, Fondazione Musei Civici, Venise
Stéphane Paccoud, conservateur en chef, chargé des peintures et sculptures du XIXe siècle, musée des Beaux-Arts de Lyonnais
Catalogue publié par les éditions In Fine. 352 pages, 39 euros
Depuis sa réouverture le 19 mai, le Musée des beaux-arts de Lyon met à l’honneur trois enfants du pays : les frères Flandrin, trio de peintres dont Hippolyte, Prix de Rome 1832, reste le moins oublié du trio, notamment grâce à ses nombreux portraits et à ses décors publics, comme ceux de Saint-Germain-des-Prés. Si l’aîné, Auguste, mourut trop jeune pour que son talent s’épanouisse, le benjamin, Paul, se révèle paysagiste subtil et dessinateur raffiné.
35–58-91. Ce n’est pas un ancien numéro de téléphone, du temps où il fallait passer par une opératrice, mais les âges auxquels sont morts les frères Flandrin. On pourrait aussi proposer 42–64-02, avec les années de leurs décès respectifs : sous Louis-Philippe pour Auguste, l’aîné, sous Napoléon III pour Hippolyte, le plus célèbre, et sous la Troisième République pour Paul, le petit dernier, tout trois étant nés sous le Premier Empire. Le Musée des beaux-arts de Lyon a choisi de rendre hommage simultanément à ces trois Lyonnais, ce qui permet au passage de mieux voir tout ce qui les sépare, et de comprendre pourquoi la gloire n’a jamais appartenu qu’à l’un d’eux.
Si tous trois firent leurs études auprès des maîtres lyonnais du style troubadour (Fleury Richard pour le premier, Pierre Révoil pour les deux autres), les deux cadets furent les premiers à partir pour Paris et pour l’atelier d’Ingres, où Auguste finit par les rejoindre, tout comme il finit par aller passer quelques mois en Italie où Hippolyte, heureux lauréat du Prix de Rome – ses deux frères avaient échoué – séjourna de 1833 à 1838, accompagné par Paul pendant quatre de ces cinq années. Au moins parce qu’il est mort beaucoup plus jeune, la présence d’Auguste est forcément plus discrète dans l’exposition, mais il y a aussi d’autres raisons : l’aîné des Flandrin était sans doute moins doué, ou moins perméable au style ingresque : ses dessins semblent tournés vers le XVIIIe plutôt que vers le XIXe siècle, et ses huiles sur toile ont elles aussi un côté sec, parfois à la limite de la gaucherie. Quant à Paul, s’il est numériquement aussi bien représenté ici qu’Hippolyte, sa vraie spécialité fut surtout la peinture de paysages, et s’il aborda le grand genre historique, ce fut surtout comme prétexte, à une époque où il fallait encore « ennoblir » une vue de nature en y ajoutant quelques personnages antiques :
ses Bords du Rhône près de Vienne se dotent ainsi d’un nécessaire berger arcadien, et ses Gorges de l’Atlas sont en fait celles d’Ollioules, près de Toulon, dans l’ombre desquelles il dissimule des fauves terrorisant un homme vêtu à l’antique, renvoi direct au Paysage avec personnage effrayé par un serpent, de Poussin. Travaillant constamment au contact de son frère, Paul Flandrin était aussi un dessinateur de grand talent, notamment en matière de portraits, où son trait a le moelleux et l’acuité psychologique d’Hippolyte. Preuve de l’intimité existant entre les deux Flandrin cadets, Ingres donna à sa Vénus à Paphos le visage d’Antonie Balaÿ, que Paul dessina de trois-quarts
pendant qu’Hippolyte peignit le portrait de face : ayant vu les esquisses, leur vieux maître en exigea une copie, car la dame avait en effet les yeux globuleux et la bouche minuscule qui lui plaisaient tant.
Hippolyte est donc la véritable star de l’exposition : à lui les nus héroïques, à lui les très grands formats – l’exposition en présente plusieurs –, à lui les commandes de décors dans des lieux publics, des églises surtout (son travail le plus connu dans ce domaine, les fresques de Saint-Germain-des-Prés, est notamment évoqué à travers la visite virtuelle de l’édifice, avec projection de leur reproduction numérisée). Néanmoins, le mot « star » est sans doute celui qui convient le moins bien à Flandrin, dont le style austère ferait passer son maître Ingres pour un gai luron. D’Ingres, Hippolyte Flandrin avait certes retenu la leçon, mais en la dépouillant de ses séductions les plus immédiates, en ne gardant que le dessin au détriment de la couleur. C’est particulièrement flagrant dans ces portraits qui furent l’une de ses plus lucratives spécialités : fonds gris-vert, habits noirs même pour les dames, ces effigies ont en commun avec celles d’Ingres la pose étudiée et la profondeur des expressions, quand elles n’en imitent pas carrément les compositions.
Mais le Portrait de la comtesse Siéyès est un bon exemple : si elle a la pose et les bras plantureux qui conviendraient à Madame Moitessier ou à la baronne James de Rothschild, on chercherait en vain (même la photographie d’époque en noir et blanc exposée en lieu et place dudit tableau) les couleurs somptueuses dont se parent la robe et le fauteuil de la princesse de Broglie, par exemple.Et cela ne s’arrête pas aux portraits. Pour ses envois de Rome, Flandrin donne dans le grand genre : s’il est légitime que le coloris soit assourdi dans Le Dante conduit par Virgile, offre des consolations aux âmes des envieux, c’est dans un gamme particulièrement froide et sombre qu’il transpose en format gigantesque (3m26 par 4m40) une composition à la Poussin, les couleurs en moins, pour son Jésus-Christ et les petits enfants.
Dans leur recherche de simplicité primitive, à la Giotto, les fresques de Saint-Germain-des-Près s’autorisent des tons plus clairs, mais leur statisme calculé est loin de ce que même Ingres s’autorisa en matière d’art religieux.
Si l’on veut de la sensualité, c’est dans ses premières peintures romaines qu’il faut aller la chercher, dans ce Jeune Berger assis dont la nudité frontale est à peine masqué par un drapé, dans le Polytès, fils de Priam, observant les mouvements des Grecs, ou surtout dans le Jeune Homme nu assis sur un rocher, que les commissaires de l’exposition ont eu la bonne idée de rapprocher – à une dizaine de salles de distance, toutefois – de sa postérité au XXe siècles
La pose de ce nu replié sur lui-même fut en effet reproduite photographiquement par le fameux Wilhelm von Gloeden, qui en fit son Caïn, et fut également reprise par Robert Mapplethorpe pour Ajitto. Malgré ces hommages très posthumes, les successeurs immédiats de Flandrin n’eurent pas toujours la plus grande estime pour lui : dans la première moitié des années 1850, Degas fut élève de Louis Lamothe, lui-même disciple de Flandrin, et il devait recevoir de son père, en 1858, une lettre le félicitant de s’être « débarrassé de ce flasque et trivial dessin Flandrinien, Lamothien » pour adopter un style plus vigoureux…
Catalogue
- Dimensions : 25 x 28 x 2,7 cm
- Musée : Musée des Beaux-Arts de Lyon
- Format du livre : 1
- EAN : 9782382030172
- Référence : MX001363
Éditions In Fine. 352 pages, 39 €.
© Lyon MBA – Photo Martial Couderette
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet
Cet article a été écrit par Laurent Bury