Felix Mendelssohn (1809-1847)
Symphonie n°1 en ut mineur, op.11
Symphonie n°2 en si bémol majeur, « Lobgesang », op.52
Symphonie n°3 en la mineur, « Ecossaise », op. 56
Symphonie n°4 en la majeur, « Italienne », op.90
Symphonie n°5 en ré majeur, « Réformation », op.107
NDR Radiophilharmonie
NDR Chor
WDR Rundfunkchor
Direction musicale : Andrew Manze
Pentatone
Format digital uniquement
Après les symphonies de Brahms et avant celles Schumann, le label Pentatone poursuit sa série « In the shadow of Beethoven » en réunissant les cinq symphonies de Mendelssohn enregistrées par Andrew Manze à la tête de la NDR Radiophilharmonie. Un coffret très homogène en termes de qualité, et l’une des lectures les plus intéressantes de ces œuvres parmi la discographie de ces dernières années. Sans se hisser sans doute au niveau des versions de référence, ces enregistrements montrent un orchestre de haute tenue, capable de déployer un très grand spectre de nuances et de couleurs. Ils montrent également un chef qui construit chaque mouvement et possède une vision d’ensemble des œuvres qui en rend amplement la variété.
En décembre dernier, le label Pentatone introduisait pour clore l’année Beethoven la série « In the shadow of Beethoven » qui faisait paraître successivement – et au format digital – les intégrales des symphonies de Brahms, Mendelssohn et Schumann : non pas de nouveaux enregistrements, mais des disques parus précédemment et réunis pour montrer l’évolution du genre symphonique chez les successeurs directs du grand maître.
Si c’est à Marek Janowski qu’incombait la lourde tâche de diriger le coffret consacré à Brahms, c’est à Andrew Manze que revient celle de diriger les cinq symphonies de Mendelssohn à la tête de la NDR Radiophilharmonie, pour une intégrale tout à fait intéressante et d’une qualité égale d’un bout à l’autre.
L’œuvre symphonique de Mendelssohn est pourtant variée : si l’on sent dans sa première symphonie, très viennoise dans le style, l’influence évidente de Beethoven et Mozart (notamment le troisième mouvement, où l’on perçoit des réminiscences de la Symphonie n°40), si sa deuxième symphonie (Lobgesang) et sa cinquième (Réformation) sont tout entières sous le signe du religieux et de la foi, les symphonies n°3 (Ecossaise) et n°4 (Italienne) nous emmènent dans une direction bien différente : plus descriptives peut-être, et surtout qui jouent avec les atmosphères, regardent vers l’extérieur, et se nourrissent d’images. L’exercice de l’enregistrement d’une intégrale est donc toujours périlleux, car tributaire des affinités du chef et de l’orchestre avec telle ou telle œuvre plutôt qu’avec une autre ; l’exercice de l’écoute d’une intégrale peut l’être également, si l’on ne trouve pas à chaque nouvelle symphonie de quoi raviver l’attention de l’auditeur.
Fort heureusement, Andrew Manze fait preuve de très belles qualités dans sa manière de construire les différents mouvements. A l’échelle de la phrase musicale, cela se traduit par des phrasés savamment dessinés (on pense à la Symphonie n°2, I.b, ou à la Symphonie n°5, IV) ; mais on sent chez le chef une vision d’ensemble, une pensée à grande échelle qui lui permettent de ne pas épuiser les forces de l’orchestre : c’est particulièrement frappant dans le dernier mouvement de la première symphonie où, au lieu de se précipiter d’emblée sur une nuance forte, le chef réserve l’intensité dont les musiciens sont capables pour le più stretto qui surgit alors de manière d’autant plus imposante, et qui constitue le véritable point culminant de l’œuvre. Chaque reprise est également l’occasion d’un approfondissement, et non d’une répétition à l’identique – une qualité précieuse dans des œuvres de structure globalement classique, où les formes sonates prennent vite l’allure de redites si l’on n’y ajoute pas de nouvelles couleurs ou une intensité différente.
Car Andrew Maze et la NDR Radiophilharmonie déploient une palette expressive formidable. Ce n’est pas seulement l’écriture de Mendelssohn qui est variée, expressive, contrastée, et les musiciens ne se contentent pas de respecter scrupuleusement ce que le compositeur a écrit : ils font preuve de nuances dans la nuance, de contrastes dans le contraste. C’est efficace, vivant, mouvant ; le son peut être lumineux et majestueux, doux et pompeux à la fois, et le spectre du pianissimo au fortissimo plus grand qu’on ne le croit souvent. Ces qualités expressives supposent un chef précis dans sa direction, et qui a profondément pensé l’œuvre en amont ; elles supposent également un orchestre réactif et homogène, ce dont on ne doute pas à l’écoute de cette intégrale. A ce sujet, on mentionnera tout particulièrement le pupitre des cuivres, auquel Mendelssohn réserve de belles pages en ouverture de la Symphonie n°4 et de la Symphonie n°2, où le cor lance comme un appel auquel répond le reste de l’orchestre, à la manière d’une assemblée religieuse. Les vents ne sont pas en reste non plus dans le trio de la Symphonie n°1, et ceux de la NDR Radiophilharmonie ont la douceur et l’intensité nécessaires.
On dira également un mot des chanteurs qui interviennent sur la Symphonie n°2 : si le NDR Chor et le WDR Rundfundchor manquent un peu de consonnes dans leur diction, ils déploient malgré leur effectif une douceur bienvenue dans le « Sagt es, die ihr erlöst seid » (IV). Esther Dierkes offre un « Ich harrete des Hernn » paisible, tandis qu’Anna Lucia Richter possède une voix lumineuse qui se fond bien avec l’orchestre et le chœur. Mais on retiendra tout particulièrement la prestation de Robin Tritschler, tout en limpidité et en délicatesse : la qualité de la diction et du phrasé en font un interprète de choix pour cette œuvre, et il trouve en l’orchestre un soutien de taille.
On a entendu des interprétations de Mendelssohn plus tourmentées, d’autres plus éblouissantes, d’autres enfin plus démonstratives et magistrales. Certains trouveront peut-être ce coffret par moments trop raffiné ou retenu – question de goût. Mais malgré la lourde concurrence discographique de ces dernières décennies, cet enregistrement constitue l’une des lectures les plus convaincantes, et même assez enthousiasmantes, de ces dernières années. Elle n’atteint peut-être pas les sommets des versions de référence, mais elle possède de très bons arguments en sa faveur, à commencer par la vivacité et l’expressivité dont elle fait preuve, et qui la rendent résolument moderne.
Cet article a été écrit par Claire-Marie Caussin