Exposition « Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo à Eugène Viollet-le-Duc ».
Crypte archéologique de Notre-Dame de Paris.
A partir du 9 septembre 2020. Ouverture du mardi au dimanche de 10h à 18h
Commissariat :
Vincent Gille, conservateur à la Maison de Victor Hugo
Anne de Mondenard, conservatrice en chef, responsable des collections photographiques et images numériques du musée Carnavalet-Histoire de Paris
Sylvie Robin, conservatrice en chef de la Crypte archéologique de l’île de la Cité et des collections d’archéologie du musée Carnavalet-Histoire de Paris
Charles Villeneuve de Janti, conservateur en chef, directeur des collections de Paris Musées
Fermée depuis l’incendie du printemps 2019, la Crypte archéologique de Notre-Dame de Paris rouvre avec une exposition consacrée à deux grands hommes du XIXesiècle, sans lesquels la cathédrale n’existerait peut-être plus, ou du moins sans lesquels elle ne serait pas le monument emblématique qu’elle est devenue : Victor Hugo, dont le roman parut en 1831 suscita l’engouement qui poussa le gouvernement à décider la restauration de l’édifice, confiée à Eugène Viollet-le-Duc.
Le 15 avril 2019, la flèche et la toiture de Notre-Dame de Paris disparaissaient en fumée, suscitant une émotion planétaire, tant ce monument est emblématique de la France et de sa capitale. Depuis, les abords de la cathédrale étaient restés barricadés, tout le parvis étant devenu une zone de non-circulation, bientôt entourée de palissades où textes et photographies retraçaient l’incident et l’ampleur du chantier de déblaiement.
Une victime collatérale de cet incendie avait alors été la Crypte archéologique, l’un des Musées de la Ville de Paris. Ouvert en 1980, il porte en fait un nom assez propice aux malentendus, puisqu’il ne s’agit en aucun cas de la crypte de la cathédrale, ni même d’un autre édifice religieux, mais plutôt des vestiges de constructions essentiellement gallo-romaines exhumés grâce aux travaux entrepris dans les années 1960 en vue du creusement d’un parking souterrain. On y voit notamment des thermes de dimensions bien inférieures à ceux, un peu plus anciens, de Cluny (175 m² contre 6000 !), un morceau du mur du quai de Lutèce et une partie du mur d’enceinte du IVe siècle, ainsi que le soubassement de quelques maisons médiévales.
En ce mercredi 9 septembre, plus d’un an après la fermeture au public de Notre-Dame, la Crypte archéologique rouvre au public, avec une nouvelle présentation temporaire spécialement consacrée au monument voisin. Bien qu’elle ne partage en réalité aucune histoire en commun avec la cathédrale, la proximité géographique justifie pleinement cette exposition ; puisse-t-elle permettre à ce musée de renouer avec la fréquentation qu’il avait connue lors de son année la plus faste au cours des deux dernières décennies (223 000 visiteurs en 2013, le point le plus bas ayant été atteint en 2003 avec un peu moins de 90 000 entrées).
Pour évoquer Notre-Dame, il a semblé assez logique d’honorer les deux personnalités grâce auxquelles la cathédrale occupe une place privilégiée dans les mémoires, ceux qui en ont fait La cathédrale par excellence. Sans Victor Hugo et son roman publié en 1831, l’édifice aurait-il acquis une célébrité aussi universelle ? Sans Eugène Viollet-le-Duc pour la restaurer de 1844 à 1864, Notre-Dame de Paris se serait-elle aussi bien ancrée dans l’imaginaire collectif ?
Après les pillages de l’époque révolutionnaire, précédés par la suppression de différents éléments au cours du XVIIIe siècle (jubé, gargouilles, flèche…), et malgré sa restitution au culte sous l’Empire (avec l’épisode glorieux du sacre de Napoléon en 1802), la cathédrale était en 1830 à deux doigts d’être rasée car elle menaçait ruine. C’est donc en partie contre les « démolisseurs » de tout poil que Hugo a décidé d’écrire son chef‑d’œuvre, visiblement conçu sous l’influence de Walter Scott qui, depuis 1815, connaissait un succès planétaire grâce à ses romans historiques. Alors que la vogue néo-gothique bat son plein, et un an après avoir marqué le théâtre avec la bataille d’Hernani, celui qui s’est fait connaître par ses poèmes triomphe avec le roman qui fait de la cathédrale un personnage à part entière.
Le visiteur est accueilli par un grand écran où sont projetées quelques scènes d’un film muet datant de 1911. Ce « long métrage » (de 36 minutes) fut réalisé pour les studios Pathé par Albert Capellani, aujourd’hui salué comme « le chaînon manquant entre les frères Lumière et Jean Renoir », spécialiste des adaptations littéraires, qui s’attaqua aux Misérables et à Quatre-vingt-treize dans les années qui suivirent. Avant d’en arriver inévitablement au Bossu de Notre-Dame de Walt Disney en fin de parcours, l’exposition se focalise d’abord sur les images fixes.
D’abord celles que Hugo lui-même produisait : trois lavis où figure la silhouette caractéristique de la cathédrale. Ensuite, tantôt originales, tantôt en reproduction, celles qui ont illustré le roman dans son premier demi-siècle d’existence. Porté par son succès en librairie, Notre-Dame de Paris inspira très vite les peintres, qui soumirent au Salon diverses toiles représentant les moments cruciaux de l’intrigue :
on doit ainsi à une certaine Eugénie Henry, épouse Latil, une jolie huile dans le style troubadour où l’on voit Quasimodo emportant Esmeralda à l’intérieur de la cathédrale (l’une des scènes dont on vient de voir la version filmique sur l’écran susmentionné). La célèbre peinture de Luc-Olivier Merson montrant un moment inverse situé au début du roman, celui où Esmeralda donne à boire à Quasimodo, est restée au Musée Victor Hugo de la Place des Vosges (actuellement en travaux, il doit rouvrir le 5 novembre), mais on peut voir deux des soixante-dix illustrations conçues par Merson pour l’édition parue en 1889.
Saisissante par ses contrastes d’ombre et de lumière, l’image dessinée par François-Nicolas Chifflart en 1876, qui évoque l’assaut donné par les ribauds, et qui correspond exactement à la phrase « Deux jets de plomb fondu tombaient du haut de l’édifice au plus épais de la cohue ». Il y a aussi quelques exemples d’œuvres associant directement le romancier et la cathédrale, comme le beau fusain de Pilotell intitulé « La vision du poète » (1883), où un Hugo aux allures de Dante, drapé dans un long manteau et le front couronné de lauriers, fait face à un monstre de pierre penché en haut d’une des tours, tandis que les personnages du roman flottent dans les nuages.
Ces statues, chimères et gargouilles qui peuplent les sommets de l’édifice, l’exposition nous rappelle que l’existence en est assez récente, puisque c’est Viollet-le-Duc qui les ajouta lors de sa restauration. Outre les nombreux clichés pris par Charles Nègre, Charles Marville, Henri Le Secq, Gustave Le Gray, Edouard Baldus et autres pionniers de la photographie, le fameux Stryge a lui aussi inspiré peintres et dessinateurs, notamment Charles Meryon qui en grave l’image dès 1853 dans ses « Vues de Paris ». Même s’il s’appuyait sur une documentation empruntant à tous les monuments gothiques possibles, il convient de rappeler que Viollet-le-Duc créa ces statues de toutes pièces pour remplacer celles qui avaient succombé aux outrages du temps : elles furent réalisées par l’équipe de sculpteurs réunie autour de Victor Geoffroy-Dechaume, mais c’est bien l’architecte qui les avait dessinées.
On notera qu’un effort de pédagogie s’adresse plus particulièrement au jeune public : tous les cartels de l’exposition existent en deux versions (quatre si l’on compte les textes français et leur traduction en anglais), l’une pour le visiteur adulte, l’autre, résumée dans un langage plus simple, pour les enfants.
En fin de parcours, une œuvre contemporaine : une photographie signée Corinne Vionnet (née en 1969), Paris (04), vision subtilement floutée de l’arrière de Notre-Dame. Et enfin, un film de quatre minutes réunissant images d’archive de la cathédrale avant l’incendie, avec en bande son des témoignages de visiteurs de tous pays, dont les portraits s’enchaînent.
De quoi patienter un peu en attendant la réouverture du monument proprement dit, qui n’est sans doute pas pour demain, malgré la volonté des pouvoirs publics de reconstruire au plus vite ce qui n’existe plus.
© Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet (Souvenir/Eugénie Henry/Chifflart)
© Musée Carnavalet – Histoire de Paris / Paris Musées (La porte rouge)
© Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (La flèche)
Cet article a été écrit par Laurent Bury