Giuseppe Verdi (1813-1901)
Messa da Requiem (1874)
Berliner Philharmoniker
Direction musicale Teodor Currentzis
Zarina Abaeva soprano
Annalisa Stroppa mezzo-soprano (remplaçant Clémentine Margaine)
Sergey Romanovsky tenor
Evgeny Stavinsky bass
musicAeterna Choir
Les débuts tant attendus de Teodor Currentzis (Athènes, 1972) à la tête des Berliner Philharmoniker se sont soldés par un triomphe incontestable : le public a salué le chef d'origine grecque, qui a choisi le Requiem de Verdi pour son premier concert à la tête des berlinois, avec son chœur MusicAeterna.
Traduit de l'espagnol et adapté par Guy Cherqui
Texte original disponible en cliquant sur le petit drapeau espagnol (en haut de la page)
Currentzis ne laisse jamais indifférent. On l'aime plus ou moins, mais il génère toujours des questions, des sensations, voire un questionnement salutaire chez l'auditeur, aussi habitué que nous à aller au concert pour répondre aux attentes et aux certitudes, comme celui qui va dans un fast-food avec la certitude de ce qu'il y trouvera. Currentzis est, en musique, aux antipodes de la restauration rapide. Ses interprétations, même avec une pointe d'effet et de théâtralité qui pourrait sembler calculés pour épater la galerie, sont le résultat d'une plongée à tombeau ouvert sur la partition
Dans le cas de ce Requiem, Currentzis propose une interprétation qui serait une véritable récréation liturgique, jusqu’à la moelle la plus spirituelle de l'œuvre, qui se distancie ainsi de toute tentation contemplative. Dans ses mains, la partition de Verdi s'élève comme une véritable cérémonie byzantine, cherchant à susciter dans la salle de concert la même agitation des sens qu'un auditeur présent à un service religieux orthodoxe peut percevoir. Le Requiem de Currentzis est paradoxal, car plus il est hétérodoxe, plus il est orthodoxe, si je puis dire.
Ici, nous ne trouvons pas un Dieu trop miséricordieux et clément, même s'il se manifeste en des occasions aussi ponctuelles qu’intenses, où la beauté tremblait (Recordare, Lacrymosa, Domine Jesu, Hostias, Agnus Dei, Lux aeterna). Currentzis semble évoquer le παντοκράτωρ (Pantokrator) tout puissant des églises byzantines, ou le dieu terrible de Michel-Ange, tout dans cette vivacité qui semble habiter le marbre. Le Requiem de Verdi peut devenir un monument inamovible et pétrifié, avec des connotations presque muséales ; ou il peut se précipiter comme une expérience sensorielle pleine de hauts et de bas, comme la vie elle-même. Currentzis opte plutôt pour cette seconde approche, soutenue bien sûr par la flexibilité des Berliner Phiharmoniker et la singularité de son chœur MusicAeterna, qui épate avec sa couleur et sa précision, singulièrement au début de l’œuvre et dans deux pages particulièrement complexes et intenses, le Rex tremendae et le Sanctus. Les Berlinois semblaient à l'aise et en accord avec les choix et les indications de Currentzis, avec lequel il semble logique d’envisager une collaboration fructueuse dans les années à venir. Évidemment, écouter un Requiem de Verdi dans ses mains est toujours une expérience extraordinaire.
Pour cette version du Requiem de Verdi, Teodor Currentzis s'est entouré des mêmes typologies vocales qui l'accompagnent dans ses enregistrements, comme dans ses opéras de Mozart. Je fais référence à des timbres clairs, à un vibrato très contenu, qui se rattachent à un concept vocal plus lié à la musique ancienne qu'aux partitions du XIXe siècle. C'est le cas, sans aller plus loin, de la soprano Zarina Abaeva, dotée d'un instrument sonore, assez pauvre en couleur mais très homogène sur tout le spectre, sans vraie personnalité interprétative. C’est un peu la même chose pour le ténor Sergej Romanovsky, qui a offert des mezzevoci de bonne facture, bien que flirtant avec une émission de falsetto et révélant quelques faiblesses dans l’aigu, où il n'a pas toujours réussi à couvrir le son avec bonheur. Plus compacte et plus solide, tant par son émission homogène que par son phrasé ferme, la basse Evgeny Stavinsky était la plus convaincante des trois solistes russes accompagnant Currentzis.
L'intervention de la mezzo-soprano italienne Annalisa Stroppa, qui a remplacé à la dernière minute la mezzo française Clémentine Margaine prévue pour ces concerts, mérite un développement particulier. Stroppa était à Hambourg le matin-même, finissant les répétitions pour les représentations de La Cenerentola, qu'elle va chanter avec le ténor espagnol Xabier Anduaga. Elle n’avait même pas sa partition du Requiem, mais Currentzis avait besoin de la présence de Stroppa, qui est arrivée à Berlin l’après-midi même, sans temps réel pour des ajustements avec le chef. Et le miracle a eu lieu, avec un lien très évident entre les deux artistes. La mezzo italienne n'avait chanté le Requiem de Verdi qu'à deux reprises, à Prague sous la direction de Placido Domingo et en Russie sous la direction de Currentzis lui-même, un mois seulement avant ces concerts à Berlin. Et à la vérité, Stroppa a montré une voix avec plus de couleurs et d'accents que ses collègues, l'approche typique d'une interprète latine, d’une école de chant différente. Son mérite est donc double, avec une musicalité impeccable et une maîtrise visible de la partie, mais aussi un courage à saluer. La magnifique performance qui est résultée de ses efforts a été chaleureusement reconnue par le public.
Cet article a été écrit par Alejandro Martinez