Giuseppe Verdi (1813-1901)
Rigoletto
Opera en trois actes,
Livret di Francesco Maria Piave, d'après Le Roi s'amuse, de Victor Hugo
VERBIER FESTIVAL JUNIOR ORCHESTRA
Stanislav KOCHANOVSKY, direction
Chanteurs de la VERBIER FESTIVAL ACADEMY
Leonardo Lee, Rigoletto
Alexandra Nowakowksi, Gilda
Sava Vémic, Sparafucile, usciere di corte
Sandra Hamaoui, Contessa Ceprano
Theodore Platt, Marullo
Joel Williams, Matteo Borsa
Adam Maxey, Conte Ceprano
Sandra Hamaoui, Contessa Ceprano
Paul Belmonte, Jacob Bettinelli, Jesus Gomez, Hugo Herman Wilson, Lyle Jackson, Flavien Maleval, Quentin Monteil, Kieran Rayner, Chœur.
Le très grand succès d’Eugène Onéguine la saison dernière a induit le Verbier Festival à proposer cette année de nouveau un opéra en version de concert pour des jeunes interprètes. Ainsi la dernière journée du festival a-t-elle affiché en matinée une représentation de Rigoletto de Verdi en version « semi scénique », avec les forces formidables du Verbier Festival Junior Orchestra, sous la direction précise, et enflammée de Stanislas Kochanowski, et des jeunes chanteurs valeureux certes, mais dont la prestation montre une fois de plus, combien Verdi peut être un piège.
Je ne sais si Rigoletto est l’œuvre idéale pour des jeunes chanteurs. À commencer par le rôle-titre qui demande un timbre un peu opaque, une énergie désespérée et une maturité que peu de jeunes chanteurs peuvent posséder en début de carrière. Il ne suffit pas d’être baryton et d’avoir du style pour y réussir.
En fait, peu d’opéras de Verdi peuvent convenir aux jeunes. On a vu récemment Un Giorno di regno qui fut une réussite pour les raisons qu’on a expliquées. Traviata est une autre possibilité qu’on a souvent utilisée dans les concours. Rigoletto est un piège : encore une de ces œuvres où l’ambiance, la couleur, le rythme, la tension comptent autant que le chant. C’est un opéra nocturne, où la brume de Mantoue envahit tout. Difficile dans ces conditions d’en réussir pleinement une version de concert, notamment avec des jeunes, tout valeureux qu’ils soient. Ils n’ont pas la brume humide et la vase de Mantoue dans la voix.
Et pourtant, si les voix n’ont pas toujours répondu à ce qui est exigé, le Verbier festival Junior Orchestra, mené par la baguette vibrante, précise, attentive, de Stanislas Kochanowski, qui imprime un vrai rythme dès le début, a été de bout en bout vraiment la colonne vertébrale de cette exécution. L’orchestre avait une justesse et un engagement exemplaires, avec un souci de limpidité du son rare. Il y avait dans cette prestation une énergie, une pulsion qu’on ne trouve pas toujours dans les fosses des opéras, même si quelques moments restent taillés à la serpe quand on attendrait un peu plus de subtilité.
Très attentif à chaque pupitre, avec un geste net, et évidemment très attentif aux chanteurs, le jeune chef russe est l’artisan du succès de cette représentation, il lui donne en tous cas son style et son unité. Un nom à suivre.
Si la distribution n’a pas toujours été convaincante dans son ensemble, des voix ont émergé qui sont prometteuses et qu’on entendra bientôt sur les scènes.
Le jeune ténor Andrès Agudelo a un timbre charnu, assez lumineux et séduisant, mais la technique n’est pas maîtrisée, et il tient difficilement la distance. Il y a dans le chant quelque chose de l’endurance du sportif, et le rôle est sollicité à l’aigu, il n'a pas l'un et pas encore l'autre. Le manque de rythme et quelques décalages avec l’orchestre font le reste. La prestation n’est pas au point, même si elle n’est pas indigne. Simplement, ce jeune ténor n’est pas encore prêt.
Pour des raisons voisines le baryton Leonardo Lee n’est pas encore Rigoletto. Il a le souci du style, un certain contrôle sur la voix, et le timbre est lui-aussi chaleureux. Mais il ne développe pas d’énergie et laisse passer des erreurs de tempo (« cortigiani… ») fréquentes, également dans les ensembles. Il n’est pas rentré dans le personnage. La voix a sans conteste des possibilités, mais il reste à acquérir les réflexes nécessaires pour la scène : cette version de concert n’a pas évité les erreurs, que serait-ce dans un décor, avec un jeu, des mouvements qui forcément n’aident pas à la concentration sur le chant ?
La jeune Alexandra Nowakowski est une Gilda en revanche déjà assurée. La voix est bien posée, bien projetée, la respiration impeccable qui assure des aigus sûrs (le « caro nome » est vraiment exécuté avec une diction claire, et la voix ne bouge pas), c’est sans doute des trois protagonistes celle qui possède la maturité vocale la plus marquée. Une belle Gilda .
La Maddalena de Svetlana Kapicheva assez correcte manque cependant de personnalité vocale marquée.
Ce sont des voix plus secondaires qui chez les rôles masculins se font remarquer le plus par leur qualité : le Monterone de Christian Andreas Adolph, voix de baryton très sonore, précise, bien projetée à la diction impeccable se fait remarquer par la qualité des interventions, et surtout la jeune basse serbe Sava Vémic, immense par la taille et immensément profonde par la voix qui résonne d’une manière incroyable : on rêve de l’entendre dans « Il lacerato spirito ». C’est une voix de Sparafucile riche d’harmoniques qui projette parfaitement, et qui surtout s’impose immédiatement en scène ; belle découverte. Ce nom est à retenir.
Le succès a été au rendez-vous, et ce Rigoletto nous a permis au moins de découvrir un vrai chef, trois voix intéressantes, et d'autres en devenir.
© Medici TV
Cet article a été écrit par Guy Cherqui