Der Fliegende Holländer
Romantische Oper in drei Aufzügen
Libretto: Richard Wagner
Uraufführung 2.Januar 1843, Dresden
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
Musikalische Leitung | Axel Kober | |
Regie | Jan Philipp Gloger | |
Bühne | Christof Hetzer | |
Kostüm | Karin Jud | |
Licht | Urs Schönebaum | |
Video | Martin Eidenberger | |
Dramaturgie | Sophie Becker | |
Chorleitung | Eberhard Friedrich | |
Technische Einrichtung 2012-2014 | Karl-Heinz Matitschka | |
Daland | Peter Rose | |
Senta | Ricarda Merbeth | |
Erik | Tomislav Mužek | |
Mary | Christa Mayer | |
Der Steuermann | Rainer Trost | |
Der Holländer | Greer Grimsley |
Depuis l’hallucinante production de Harry Kupfer (1978) qui fit date et a fait école, y-a-t-il eu une production convaincante de Fliegende Holländer ? Peut-être celle de Claus Guth (2003) qui reprenait quelques-uns des thèmes de Kupfer. Cela n’empêche pas, dans la bonne tradition, de reprendre pour la sixième fois (en plus de la première série) cette production de Jan Philipp Gloger qui ne marquera pas les annales. Ce doit être le destin de Fliegende Holländer d’être repris si souvent à Bayreuth et de faire durer les productions : ce fut le cas aussi de la production Kupfer (jusqu’en 1985), de la production Dieter Dorn (1990 à 1999, avec une interruption de trois ans) comme si c’était un opéra bouche-trou.
Gloger a eu pourtant la bonne idée de faire du couple Holländer-Senta de vrais amoureux, mais la mauvaise de l’inscrire dans une ambiance et un décor pas vraiment inspirants.
Le regard du Blog du Wanderer sur cette production:
Petite histoire
Voilà une production dont la distribution a varié, mais qui a trouvé assez tôt un équilibre musical avec des artistes installés durablement dans leur rôle, comme le magnifique Erik de Tomislav Mužek . Chaque édition a eu des qualités. On se souvient que, comme souvent ces derniers temps à Bayreuth, le protagoniste prévu (Evguenyi Nikitin) a dû être remplacé dans les derniers moments à cause de tatouages qui sentaient le roussi en ce lieu. On a eu le Hollandais de Samuel Youn pendant plusieurs années, celui de Thomas Johannes Mayer en 2016 et aujourd’hui John Lundgren alterne avec Greer Grimsley. Pour Senta ce fut Adrianne Pieczonka en 2012, puis Ricarda Merbeth, pour Daland, Franz-Josef Selig puis Kwangchul Youn puis Peter Rose, pour Erik, Michael König la première année puis Tomislav Mužek (mais Andreas Schager en 2016 ) et der Steuermann fut toujours Benjamin Bruns et cette année Rainer Trost, quant à Christa Mayer, elle fut fidèlement Mary pour toutes les éditions.
Une mise en scène cohérente mais sans attrait
La production de Jan Philipp Gloger (Katharina Wagner appelle avec raison tour à tour les jeunes metteurs en scène remarqués de la scène allemande) voulait sans doute rompre avec l’histoire traditionnelle, en évitant la vision du vaisseau, l’élément marin se réduisant à une pauvre barque dans la première scène (il faut bien justifier du chant du pilote) et en faisant du Steuermann (le pilote) un jeune cadre aux dents longues.
Cette histoire romantique se déroule dans un monde de traders, avec un décor de circuits intégrés et de chiffres qui défilent à une vitesse vertigineuse, s’arrêtant seulement quand on parle d’amour. La tempête initiale étant une tempête de chiffres (imaginez une tempête chez Goldman Sachs en 2008…) et l’arrivée du Hollandais (chauve avec d’étranges taches noires sur le crâne) étant celle d’un trader avec sa valise dont une hôtesse le débarrasse bien vite. on est dans le monde d’aujourd’hui, celui dont la valeur est l’argent, et le (dé)régulateur la bourse.
Dans ce monde, une PME vend des ventilateurs : on n’est plus chez les fileuses du port nordique, mais chez celles qui mettent en boîte des ventilateurs (chaque époque a son prolétariat ) ; l’idée du ventilateur dans un opéra où vent et tempête jouent un grand rôle est sans doute ironique…mais la fille du patron rêve d’amour et se lasse des ventilateurs.
Le papa, Daland, qui est séduit par l’or du Hollandais-trader a tôt fait d’offrir sa fille à ce très offrant : que l’on soit un Daland d’aujourd’hui ou d’hier, la bosse du commerce est la même et l’on vend sa fille au plus offrant.
Dès qu’ils se rencontrent, le couple a le coup de foudre : et c’est un vrai duo d’amour qui commence, qui comme les duos d’amour chez Wagner, se cimente par la mort « die Treue bis zum Tod » (la fidélité jusqu’à la mort), laissons la mort aux romantiques, en quelque sorte.
De fait, le Hollandais à la fin du troisième acte s’impatiente non parce qu’il doit repartir, mais parce qu’il fait une crise de jalousie et de dépit amoureux face à Erik, et ainsi tous deux se suicident, unis dans la mort.
Interruption de l’action pendant que retentit le motif de la rédemption, le rideau s’ouvre à nouveau sur l’atelier d’empaquetage, et c’est cette fois une statuette des deux amoureux (du type figurines de pièce montée) qu’on met dans les cartons ; Daland et son âme damnée le Steuermann ont compris le nouveau filon dans un monde où les belles histoires glamour paient mieux que les ventilateurs.
On a donc quitté le monde des légendes nordiques, les ambiances glacées, pour une ambiance grise et sans couleur du travail et de la médiocrité : bien sûr dans la balade de Senta, celle-ci agite une sorte de figurine de carton censée être le hollandais ou un bateau, vagues traces de la légende, mais l’histoire est volontairement réduite à ce monde rabougri que Gloger semble dire être le nôtre.
La tempête du troisième acte devient en fait une métaphore des luttes de la concurrence entre deux mondes d’employés, tous vêtus de la même manière, où brûlent les plans du ventilateur miracle, ce qui justifie qu’on ait trouvé autre chose (la figurine du couple) pour continuer à vendre. Gloger nous dit que l’activité préférée du monde est donc la vente, des choses comme des hommes.
Parti de l’idée de la vente de Senta, Gloger élargit le propos à une vision du monde d’aujourd’hui, perverti par l’argent et l’économie à tout va. Pourquoi pas : il laisse en effet de côté les analyses psychanalytiques de l’âme tourmentée de Senta qui ont occupé bonne part des mises en scène depuis Kupfer, il laisse aussi de côté le romantisme des tempêtes et des vaisseaux fantômes, mais pas celui des jeux d’ombre sur les murs. Les options en soi ne sont pas absurdes. Et à ce monde sans intérêt ni couleur, il donne un cadre obscur, gris et noir, l’essentiel de l’action se déroule sur une podium qu’on dirait être celui d’une scène provisoire qui pourrait aussi convenir à un bal de quartier, au milieu de cartons et tubulures. Un monde mis à distance, dans une histoire distanciée qui malgré tout raconte une histoire d’amour vraie. Mais que ce soit dans le Ring ou dans Der Fliegende Holländer, il n’y pas de place pour l’amour vrai dans un monde gouverné par des brutes et l'or. Gloger a appris la leçon de Rheingold qu’il applique ici de manière rigoureuse.
Une fois de plus un concept intéressant, mais avec une traduction scénique assez pauvre, sans vraie tension, et pour tout dire un peu monotone et ennuyeuse. Il manque l’énergie du théâtre là où la musique en déborde. La vie est du côté de la musique et pas du plateau qui peine à suivre le rythme et fait chuter l’intérêt. Tout ça fait souvent pschtt.
Une distribution solide, d'où émerge un Erik exceptionnel
Si la musique est pleine d’énergie débordante et de sève juvénile et romantique, le plateau peine à donner à cette musique la tension vocale voulue, sans démériter d’ailleurs : il n’y a aucun point vraiment faible dans la distribution, mais pas non plus de points forts, si ce n’est le seul qui réussisse à traduire un vrai sentiment humain, une vraie désespérance et des accents bouleversants, Tomislav Mužek dans Erik dont il fait l’une des plus belles incarnations qu’on ait vues pour ce rôle.
Par la justesse du jeu, jamais exagéré et surtout par les inflexions de la voix, par les accents, par le halètement, par l’expressivité, le tout accompagné évidemment d’un volume et d’une voix notables (Erik c’est un Siegmund en puissance), Tomislav Mužek arrive à faire du rôle un vrai personnage tragique, particulièrement convaincant.
Même si Rainer Trost est un chanteur dont on connaît les qualités de justesse et de contrôle, notamment dans Mozart, son Steuermann qui n’est pas déshonorant, peine à affirmer une présence et vocale et scénique et reste un peu pâle.
En face de lui le Daland de Peter Rose est bien plus convaincant, car il est un acteur, dans son corps comme dans sa voix (on connaît son Ochs devenu légendaire), alors, émission parfaite, phrasé, expressivité, ciselure du mot : tout cela est présent pour en faire un « personnage ».
Christa Mayer dans Mary est très correcte dans un rôle qui empêche un mezzo de sa qualité de donner sa pleine mesure. Quand ce rôle ingrat est – comme c’est le cas ici- distribué à des artistes d’une autre dimension, ces dernières n’arrivent pas à le faire émerger.
Ricarda Merbeth est Senta, une Senta puissante et comme toujours vocalement impressionnante par le volume, l’émission, les aigus chantés sans difficulté, mais ce qui fait défaut c’est toute la partie interprétative, la couleur, l’expression, la vibration scénique et un peu la justesse (peut-être à cause de l’épouvantable chaleur ambiante) : tout cela reste froid et peu « animé » ; cette Senta ne prend jamais, n’émeut jamais. On a l’impression qu’elle chante tous les rôles qu’elle aborde de la même manière. Correct par la technique, mais pas par l’incarnation.
Enfin Greer Grimsley, nouveau venu à Bayreuth est un baryton-basse qui a fait l’essentiel de sa carrière déjà longue (il est né en 1956) aux USA. Il compose ici un Hollandais au timbre chaleureux, mais avec un défaut de couleur, un chant un peu monochrome qui ne réussit pas à rendre les replis de l’âme du personnage. Certes, il affirme un chant puissant, mais sans les vraies nuances qui font des grands Holländer des animaux blessés. Or, dans cette production en particulier, le Hollandais a besoin d’interpréter autre chose qu’une colère éternellement rentrée : on a des difficultés à percevoir quelques inflexions amoureuses, quelques éléments sentimentaux, et le phrasé laisse un peu à désirer, ainsi que la diction.
Choeur et orchestre au rendez-vous de l'excellence
Le chœur si important dans l’œuvre donne ici sa pleine mesure, puissant, rythmé, en mesure avec la fosse, et il obtient le triomphe qu’il mérite.
Christian Thielemann fut les premières années époustouflant d’énergie et de vigueur, mais aussi plein de contrastes et de moments éthérés, et ce fut l’une de ses plus belles performances. La succession était difficile, et Axel Kober a relevé le gant. Cette année, la réussite est réelle, il accompagne le plateau sans jamais le couvrir, l’orchestre n’a aucune scorie, même les cuivres par ces chaleurs insupportables ! Et le son en est précis, contrasté énergique mais aussi retenu, lyrique, avec de splendides couleurs et une grande limpidité de l’ensemble des pupitres : une direction musicale qui a atteint sa maturité et qui est aussi l’artisan de la réussite musicale de l’ensemble.
Ainsi ce Fliegende Holländer, en dépit de changements divers de distribution et de chef, a gardé son homogénéité et sa solidité, la mise en scène, sans être un coup de génie, a tenu aussi : ce ne sera pas un spectacle qui marquera les mémoires, mais qui aura traversé les années sans encombre, avec ses qualités et ses défauts : secret de sa longévité ??
© Bayreuther Festspiele / Jorg Schülze (Tomislav Mužek)
Cet article a été écrit par Guy Cherqui