C’est le thème de La folle journée de Nantes 2018, dont le titre est "Un monde nouveau": tour des grands compositeurs qui à chaque époque, ont dû laisser leur pays et se réfugier à l’étranger. Et ils ont vécu des expériences qui ont révolutionné la production musicale de leur temps.
L’attraction majeure de “La folle journée de Nantes, le plus original, le plus riche et le plus via,t des festivals français, est la richesse des propositions articulées autour d’un thème précis. C’est encore le cas pour l’édition 2018, la 23ème, du 23 au 28 janvier dans onze villes de la région Pays de la Loire et du 31 janvier au 4 février à Nantes même. Comme le suggère le titre « Vers un monde nouveau », il est focalisé sur des compositeurs qui pour des raisons politiques furent contraints d’abandonner leur pays pour se réfugier à l’étranger, comme Rachmaninov que la Révolution de 1917 poussa à laisser à jamais la Russie tant aimée pour les Etats-Unis ; ou Prokofiev qui après avoir fait le même choix en 1918, se laissa convaincre au contraire par le régime soviétique de revenir en 1936, finissant ses jours comme un exilé dans sa patrie. Ainsi des compositeurs si nombreux que l’ascension du nazisme chassa d’Autriche, d’Allemagne, d’Europe de l’Est comme Schönberg, Zemlinsky, Korngold, Weill, Hindemith, Bartók, Martinu, mais aussi de France et d’Italie comme Milhaud et Castelnuovo Tedesco.
Le cas de Dvoràk fut différent qui choisit pour ainsi dire un exil volontaire passant quelques années à New York et se laissant avec bonheur inspirer, dans sa célèbre Symphonie du Nouveau Monde, mais pas seulement, par la musique populaire américaine. Plus proches de nous, le hongrois Ligeti qui décida de partir pour Vienne après l’échec de la révolution de 1956, ou l’estonien Arvo Pärt qui émigra, frappé par la censure soviétique.
Stravinsky quant à lui n’a pas fui vraiment la Russie, mais s’en est éloigné pour vivre une existence cosmopolite, mais quand même poussé aussi bien par des circonstances dramatiques qui vont de la Révolution russe à la première, puis deuxième guerre mondiale. Il n’est retourné dans sa patrie qu’en 1962 après avoir composé tous ses chefs d’œuvres en Suisse, en France et aux Etats-Unis où il vécut jusqu’à sa mort.
« J'ai décidé il y a 5 ans que j'aurais choisi ce thème pour l' édition 2018. », déclare René Martin, le fondateur et directeur artistique de La Folle Journée, qui dirige aussi le festival pianistique de La Roque d’Anthéron. « Mais je ne pensais pas qu'aujourd'hui il serait tant d'actualité. Je voudrais montrer, dans une vaste perspective, comment l'exil non seulement a marqué la production de chaque compositeur mais a révolutionné la musique de son temps »
Un précédent illustre avait été, au XIXe l’exil en France de Chopin, suite à l’insurrection contre la domination russe, qui y arriva à 20 ans sans jamais plus retourner dans son pays. Si dans les Mazurkas et Polonaises, il souligna son lien au pays natal au-delà du folklore et avec son immense production pianistique il ouvrit des perspectives inédites et vertigineuses à l’art du piano.
Tous les musiciens cités, et d’autres, auxquels se rajoutent ceux qui à l’époque baroque se sont aventurés en terre étrangère comme Lully, Haendel ou Scarlatto, forment le tissu des plus de cinquante concerts au programme avec des œuvres célèbres, d’autres rares, tant et si bien qu’il est impossible d’en faire un résumé. Il en est de même pour les innombrables interprètes qui défileront dans les salles de la Cité des Congrès de Nantes, transformée en Cité de la Musique pour laisser place aux rendez-vous symphoniques, à la musique de chambre ou aux conférences, aux libraires, aux magasins de disques, restaurants et cafés.
Citons quand même la Kremerata Baltica avec Gidon Kremer chef d’orchestre et violoniste, les ensembles baroques Concerto Köln et Doulce Mémoire, les quatorze orchestres régionaux et les douze choeurs, le trio Wanderer, le Quatuor Modigliani, et quelques noms bien connus comme Raphael Pïdoux le violoncelliste, les pianistes Denis Matsuev , Anne Queffélec et Boris Berezovsky, le clarinettiste Philippe Berrod et la flûtiste Sarah Louvion.
Pour qui n’a pas fait l’expérience , il est difficile d’imaginer comment il soit possible de concentrer harmonieusement en quelques jours une offre musicale aussi riche et variée. Mais l’organisation pratique du festival, la distribution des concerts dans la journée de 10h30 à 23h, l’accueil et les guides à disposition du public (150.000 spectateurs en 2017, avec une présence notable de jeunes et de scolaires) sont impeccables. Chacun trouve facilement ce qu’il cherche et s’il veut, entre un concert et l’autre, entre une conférence, une rencontre avec les artistes, un coup d’œil aux disques et aux livres, il peut passer toute la journée en « full immersion » musicale parfaitement organisée.
Restaurants, cafés, vastes espaces aux divans profonds sont étudiés pour d’agréables moments relax. L’atmosphère est celle d’un festival pour tous, authentiquement populaire. D’ailleurs depuis des années la formule s’exporte bien : cette année La folle Journée sera au Japon en avril-mai, en Russie et en Pologne en septembre.
© Hiroyuki Ito (Gidon Kremer)
© Francois Sechet (Trio Wanderer)
Cet article a été écrit par Luciana Fusi