Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Leonore
Opéra en 3 actes
Livret de Joseph Ferdinand von Sonnleithner d’après le livret de Jean-Nicolas Bouilly pour Léonore ou l’Amour conjugal
Créé le 20 novembre 1805 au Theater an der Wien de Vienne
Marlis Petersen (Leonore)
Maximilian Schmitt (Florestan)
Johannes Weisser (Don Pizzaro)
Dimitry Ivashchenko (Rocco)
Robin Johannsen (Marzelline)
Tareq Nazmi (Don Fernando)
Johannes Chum (Jaquino)
Florian Feth (Premier Prisonnier)
Thomas Trolldenier (Deuxième Prisonnier)
Zürcher Sing-Akademie
Chef de Choeur
Florian Helgath
Freiburger Barockorchester
Direction musicale
René Jacobs
Fidelio a longtemps occulté Leonore dont la première représentation date de 1805. Profondément remanié par Beethoven, Fidelio, malgré ses géniales intuitions musicales et ses pages exaltantes a toujours souffert d'un manque de cohérence, à la différence de Leonore, plus classique mais aussi plus équilibrée, sur laquelle René Jacobs vient de se pencher pour les besoins d'une captation discographique de premier ordre, à paraître chez Harmonia Mundi.
Avant d'être donnée à la Philharmonie et de faire l'objet d'un enregistrement appelé à faire date, cette Leonore dirigée par René Jacobs, sommairement mise en espace, a été présentée dans plusieurs villes européennes. Cette dernière date à Paris est donc l'aboutissement d'un travail méticuleux dont le public a pu apprécier les bienfaits. Les instruments anciens et la direction ad hoc de René Jacobs conviennent idéalement à cet original sur lequel Beethoven ne cessera de revenir, modifiant le titre, le livret, l'ordre des scènes, retravaillant la partition pour concevoir une œuvre à laquelle il ne parviendra pas exactement. Même si Beethoven est un précurseur, un visionnaire, ses premiers pas dans l'univers lyrique ne peuvent cacher un héritage post-baroque, des influences (à Mozart et au singspiel en particulier), que le chef belge ne se prive pas de mettre en lumière : souplesse instrumentale, gestion des tempi et des respirations, alternance maîtrisée entre les parties chantées et les passages parlés, cette lecture à la plasticité mozartienne, est d'une lucidité musicale et architecturale absolument admirable.
Bien plus étoffée et donc mieux équilibrée que ne le sera le futur Fidelio, cette première mouture, moins dramatique sans doute, moins politique aussi, n'en est pas moins séduisante, Beethoven exaltant l'héroïsme de son personnage principal par une virtuosité vocale proche de l'opera seria, beaucoup plus développée, tandis que l'écriture de Florestan est ici beaucoup plus abordable.
La colorature Marlis Petersen n'est pas Edda Moser, inoubliable dans la gravure de Herbert Blomstedt publiée par EMI en 1976, mais cette Reine de la Nuit, cette Zerbinetta, cette Donna Anna (à Aix en 2010 mise en scène par Tcherniakov entre autre) et cette Elettra, déjà pour Jacobs à Vienne en 2013, a la tessiture ailée, ne recule devant aucune difficultés du rôle et notamment ses écarts et ses vocalises haut perchées que le compositeur abandonnera finalement quelques années plus tard, présents dans l'air « Ach ! brich noch nicht » où l'on entend déjà le superbe « Komm Hoffnung » avec cor obligé, morceau de bravoure de Fidelio, qui annonce avec quelques années d'avance Kundry, Venus, Didon et Santuzza, futures sopranos dramatiques qui seront légion tout au long du XIXème siècle.
Mozartien accompli, à la voix ronde et aux phrasés délicats, Maximilian Schmitt n'est pas là par hasard, René Jacobs l'ayant choisi pour répondre aux besoins du rôle où les références au Tamino de Die Zauberflöte et au Belmonte de Die Entfhürung aus dem Serail sont évidentes. Si Pizarro correctement chanté ici par Johannes Weisser subira quelques modifications, Beethoven insistant sur la noirceur et la violence du personnage, le trio Marzelline, Jaquino et Rocco changera peu. La fraîche Robin Johannsen qui freddone en clin d'oeil à son entrée en scène « Ich liebe dich so wie du mich », mélodie de Beethoven écrite en 1795, et gagne dans cette version initiale un duo d'amour avec Leonore qui passera à la trappe dans les versions plus tardives, est une vaillante, quoiqu'un peu frêle Marzelline, Johannes Chum un honnête Jaquino facilement éclipsé par le superbe Rocco de Dimitry Ivashchencko, basse aux graves chatoyants ; mention spéciale pour le Don Fernando de Tareq Nazmi. Beaux choeurs mixtes embrasés lors du finale, issus de la Zürcher Sing-Akademie.
© Yannis Mavropoulos (Marlis Petersen)
© Molina Visuals (René Jacobs)
Cet article a été écrit par François Lesueur