Haensel und Gretel (1893)
Progetto Accademia
Pantomime en trois tableaux
Livret de Adelheid Wette
(Edition C F Peters Musikverlag. Urtext edition;
représent. pour l'Italie Casa Musicale Sonzogno di Piero Ostali)
Coro di Voci Bianche e Orchestra dell'Accademia Teatro alla Scala
Solisti dell'Accademia di Perfezionamento per Cantanti Lirici del Teatro alla Scala
Nuova produzione Teatro alla Scala
Direction musicale | Marc Albrecht |
Mise en scène | Sven-Eric Bechtolf |
Décors | Julian Crouch |
Costumes | Kevin Pollard |
Lumières | Marco Filibeck |
Vidéo | Joshua Higgason |
Hänsel | Anna Doris Capitelli |
Gretel | Francesca Manzo |
Peter | Gustavo Castillo |
Gertrud | Chiara Isotton |
Knusperhexe | Mareike Jankowski |
Taumännchen | Céline Mellon |
Sandmännchen | Enkeleda Kamani |
Assez rarement donné hors d’Allemagne, Hänsel und Gretel arrive à la Scala, production des jeunes de l’Académie, aussi bien sur le plateau qu’en fosse, désormais traditionnelle en fin de saison. Et c’est une réussite, avec un public rempli d’enfants qui fait un triomphe au conte des deux enfants perdus en forêt aux prises avec une sorcière anthropophage.
Hänsel und Gretel se prête à une production de jeunes, au moins sur le plateau : les voix requises, essentiellement féminines (un seul rôle masculin, celui du père, une basse comme il se doit) ne sont pas sollicitées au-delà du raisonnable, les rôles (Haensel et Gretel exceptés) restent courts, et le nombre de personnages reste limité avec la seule intervention du chœur d’enfants. À l’orchestre il en va autrement : le wagnérisme de Humperdinck impose des cuivres bien présents (les cors !), une vraie présence charnue des cordes car dans Hänsel und Gretel c’est l’orchestre le personnage principal, notamment en première partie, bien plus intéressante musicalement que la seconde, plus fonctionnelle.
En appelant Marc Albrecht pour diriger l’orchestre de l’Académie de la Scala, on garantit un grand connaisseur de ce répertoire, capable de bien préparer les jeunes en fosse sans doute peu familiers d’une œuvre rare, mais en même temps en besoin d’ouverture du répertoire et de connaissance du post romantisme allemand.
En appelant Sven Eric Bechtolf pour la mise en scène, Pereira ne prend pas le risque d’un Regietheater toujours suspect de ce côté des Alpes, mais garantit un « modernisme » tranquille, qui puisse séduire une grande partie du public. L’allemand Sven Eric Bechtolf, qui a officié ces dernières années essentiellement en Autriche (Salzbourg où il a dirigé la partie « théâtre » du Festival aux côtés de Pereira, ou Vienne, peu suspecte de Regietheater) est lui-aussi parfaitement adapté pour mettre en scène un spectacle qui doit se vouloir familial, et séduire les enfants qui remplissent la salle. L’histoire que connaissent les enfants, issue des contes populaires recueillis par Grimm, doit être d’une lisibilité parfaite : en ce sens l’appel à Bechtolf est parfaitement ciblé.
Ainsi donc, une stratégie pour une fois efficace a provoqué le succès de la production aux décors de Julian Crouch un peu kitsch, référencée aux albums pour enfants : Crouch est un partenaire régulier de Bechtolf, avec qui il a réalisé le Jedermann de Salzbourg, mais aussi la version salzbourgeoise de l’Opéra de Quat’sous sous le nom Mackie Messer – Eine salzburger Dreigroschenoper en 2015, ainsi que Kevin Pollard qui a réalisé les costumes.
Les décors sont très bien faits, en toiles peintes comme dans le théâtre d’antan, qui utilisent néanmoins les techniques modernes notamment la vidéo (de Joshua Higgason) pour la maison de pain d’épices ou la magnifique scène des anges avec quelques idées efficaces et très poétiques (le ballet des cartons au premier acte). C’est donc cette vision d’un théâtre un peu suranné en utilisant des techniques d’aujourd’hui, avec des éclairages efficaces de Marco Filibeck que propose Bechtolf, soucieux cependant d’inscrire cette histoire immémoriale dans un cadre reconnaissable aujourd’hui en la situant aux confins d’une cité moderne où la population pauvre cherche sa nourriture dans les ordures, poussant des caddys pleins de matériaux ramassés de ci de là. D’ailleurs, les anges de la fin du 1er acte ne sont-ils pas ces populations en déshérence, rejetées de la vie : la grande pauvreté aujourd’hui est plus urbaine que celle soulignées dans les contes de Fées d’Ancien Régime, mais l’idée est toujours la même : « les derniers seront les premiers ».
Autour de cette idée, Bechtolf construit un spectacle somme toute traditionnel et sage, mais bien fait, aux éclairages élaborés et aux décors spectaculaires, apte à plaire à un public pas forcément habitué à venir à la Scala.
Du point de vue du chant, l’équipe de jeunes réunie est plutôt homogène, sans être exceptionnelle. La palme revient à la Gretel de Francesca Manzo, voix bien posée, bien projetée, belle articulation et joli contrôle, plus irrégulière Anna-Doris Capitelli dans Haensel, avec une jolie présence scénique, mais une voix plus fragile, un peu plus grêle et avec une projection encore à assurer.
Les adultes, la Gertrud de Chiara Isotton a la puissance, mais une ligne encore mal assurée et notamment des aigus un peu criés. Le père (la basse Gustavo Castillo), seul homme de la distribution, reste honorable, tout comme la sorcière de Mareike Jankowski. Jolie performance également du marchand de sable de Enkeleda Kamani, ainsi que du marchand de rosée – Taumännchen- de Céline Mellon.
Dans l’ensemble la distribution est à la hauteur de l’enjeu, sans révéler cependant les grandes voix de l’avenir. Le chœur des « voci bianche » (ainsi appelle-ton la Maîtrise en Italie) a été très bien préparé par Marco De Gaspari et ses interventions sont vraiment notables.
C’est dans la fosse cependant qu’on trouve le vrai sujet de satisfaction : Marc Albrecht connaît son sujet et donne à l’orchestre à la fois le lyrisme et le relief voulus, il sait faire sonner l’orchestre et veille aux équilibres avec le plateau. Son Hänsel und Gretel garde de Wagner un discours sonore particulièrement séduisant dans le premier acte et dans toute la scène finale, avec un vrai sens des volumes et des crescendos, et un grand rôle des cordes. Comme il a été souligné, c’est dans le premier acte que les parties orchestrales sont les plus développées, les plus spectaculaires aussi par rapport à un deuxième acte plus fonctionnel, et plus rapide : Humperdinck n’a pas cherché à créer une action dramatique trop forte ni des moments qui eussent pu effrayer le jeune public, visiblement séduit puisqu’après les pépiements initiaux, la fascination du spectacle impose le silence et l’attention.En ce sens on est loin de la production théâtrale de Romeo Castellucci inquiétante pour les grands et effrayantes pour les petits il y a une vingtaine d'années.
L’orchestre suit bien son chef, à part d’inévitables scories aux cuivres et notamment aux cors, très sollicités dans l’ouverture : tout le reste fonctionne, des cordes charnues, un son très puissant, assez clair et pur, une véritable énergie : cet orchestre sonne « comme un grand », et avec un enthousiasme qu’il sait communiquer.
Une expérience dans l’ensemble très positive, d’une part pour ces jeunes, mais en même temps pour le chef qui a su communiquer à l’orchestre le style adapté et le lyrisme voulu .
Au total, la Scala était pleine, ce qui lui arrive désormais plus rarement, la Scala était très jeune – encore plus rare, et la Scala était joyeuse. Que demander de mieux, et qui aurait cru que Hänsel und Gretel en aurait donné l’occasion ?
© Francesco Bondi
Cet article a été écrit par Guy Cherqui