Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Le timbre d'argent
Opéra en quatre actes, livret de Jules Barbier et Michel Carré
Créé au Théâtre-Lyrique le 23 février 1877
Mise en scène :Guillaume Vincent
Décors : James Brandily
Création vidéo : Baptiste Klein
Costumes : Fanny Brouste
Lumières : Kelig Le Bars
Chorégraphie : Herman Diephuis
Magicien : Benoît Dattez
Edgaras Montvidas (Conrad)
Hélène Guilmette (Hélène)
Tassis Christoyannis (Spiridion)
Yu Shao (Bénédict)
Jodie Devos (Rosa)
Raphaëlle Delaunay (Circé/Fiammetta (rôle dansé))
Chœur Accentus
Les Siècles
Direction musicale François-Xavier Roth
Grâce aux recherches incessantes menées par l'équipe du Palazzetto Bru Zane, les ouvrages les plus rares et les plus inattendus nous reviennent désormais chaque saison. C'est ainsi qu'en quelques semaines se sont enchaînées la parution de Proserpine, opéra totalement oublié de Saint-Saëns, le retour en version de concert de La Reine de Chypre de Halévy au TCE et les représentations du Timbre d'argent à l'Opéra comique, entreprise couronnée de succès dont nous nous réjouissons.
Quelques jours après la décevante tentative de résurrection de La Reine de Chypre de Halévy au TCE, la Salle Favart vient de réhabiliter avec succès une rareté de Saint-Saëns : Le timbre d’argent. Créé en 1877 sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, cette pépite qui évoque le pacte faustien offre une éblouissante synthèse entre les univers fantastiques de Gounod (Faust) ou d'Offenbach (Les contes d'Hoffmann) et féeriques de Massenet (Cendrillon). Peintre à la recherche de l'être idéal, Conrad voit sa vie basculer le jour où il reçoit en cadeau d'un être maléfique (Spiridion), un timbre d'argent doté de pouvoir magique. En le faisant tinter il est couvert d'or, mais fait aussitôt disparaître un être aimé. Dilemme affreux auquel il semble condamné. Epris de l’étrange ballerine Fiammetta manipulée par Spiridion, Conrad dilapide sa fortune, abandonne celle qu'il aime, se détruit en éliminant ceux qui veulent le sauver, jusqu'à ce qu'il décide enfin de se séparer de cet objet maudit ; au même instant il se réveille, victime d'un terrible cauchemar dû à une forte fièvre, entouré de ses proches.
Pleine d'audace et de rebondissements, l'intrigue tricotée par les librettistes des Contes d'Hoffmann a inspiré à l’auteur de Samson et Dalila une partition foisonnante qui déborde d'inventivité, de charme et d'esprit. Alternant dans un des premiers flash-back de l'opéra, moments de tension et passages oniriques, ce Timbre d'argent proche des atmosphères à la Walter Scott et du fantastique lugubre des légendes allemandes de ETA Hoffmann, se distingue par son rapport au mal et à la tentation. Idéal pour traduire le langage à la fois très personnel et très novateur du compositeur, Les Siècles, formation sur instruments anciens amoureusement conduite par François-Xavier Roth assure un parcours sans faute. Vive, colorée, tendue et sensuelle, la direction tient l'auditeur en éveil sans jamais faiblir, réussissant à unifier les diaprures orchestrales, les évocations orientales et les interventions chorales parées d'une couleur religieuse, aux passages plus académiques mais de grande qualité où l'on retrouve tout ensemble Ambroise Thomas pour le registre surnaturel (propre à son Hamlet en particulier) mais également le raffinement de la ligne mélodique d'un Massenet.
La mise en scène de Guillaume Vincent est au diapason, visuellement très riche et extrêmement rythmée. Racontée comme une revue ou se succèdent les numéros, le délire de Conrad nous transporte de cabarets en soirées très privées, de mariage champêtre en forêt profonde où ce dernier en fuite est retrouvé par Spiridion, caché sous divers travestissements et toujours prêt à le compromettre. Les décors changeants et joliment éclairés, les costumes audacieux, rien ne manque à cette course poursuite haletante, entrecoupée de savantes chorégraphies confiées à la sculpturale Raphaëlle Delaunay (fidèle de Pina Bausch), Fiammetta d'une aisance confondante.
Déjà remarqué dans le Dante de Benjamin Godard à Versailles et dans La Jacquerie de Lalo à l'Auditorium de Radio France en 2016, le ténor lituanien Edgaras Montvidas surmonte vaillamment la tessiture meurtrière de Conrad et fait corps avec ce personnage torturé prêt à tout pour séduire une chimère, avant de revenir à une vie plus simple et plus heureuse auprès de sa bien-aimée, Hélène. Brillant acteur et chanteur enthousiasmant, Tassis Christoyannis révèle toute la complexité du machiavélique Spiridion, dont il cisèle chaque intervention avec un luxe de détails infini. Le jeune ténor Yu Shao chante avec soin le rôle de Bénédict, tout comme Jodie Devos celui de la charmante Rosa, Hélène Guilmette apportant à la douce Hélène la pureté de son chant et la tranquille affirmation de sa force et de sa féminité.
Vivement 2018 qui marquera le bicentenaire de la naissance de Gounod et devrait permettre aux membre du PBZ de nous faire redécouvrir La Nonne sanglante (1854) toujours en partenariat avec l'Opéra Comique et Le Tribut de Zamora (1881), sans oublier Faust, cette fois dans sa première mouture de 1859 avec dialogues parlés au TCE le 14 juin 2018 avec Véronique Gens, Jean-François Borras dirigé par Christophe Rousset et Les Talens Lyriques.
Cet article a été écrit par François Lesueur