- Giuseppe Verdi (1813-1901)
Otello (1887) - Direction musicale: Antonio Pappano
Mise en scène: Keith Warner - Décors: Boris Kudlička
- Costumes: Kaspar Glarner
- Lumières: Bruno Poet
- Mouvements: Michael Barry
- Combats: Ran Arthur Braun
- Otello: Jonas Kaufmann
- Desdemona: Maria Agresta
- Iago: Marco Vratogna
- Cassio: Frédéric Antoun
- Roderigo: Thomas Atkins
- Emilia: Kai Rüütel
- Montano: Simon Shibambu
- Lodovico: In Sung Sim
- Hérault: Thomas Barnard
- Royal Opera Chorus
- Direction: Vasko Vassilev
Orchestra of the Royal Opera House
Sans doute était-ce un des événements les plus attendus du calendrier de la présente saison lyrique: les débuts de Jonas Kaufmann dans l’Otello de Verdi, sur la scène du Royal Opera House, et sous la baguette d’Antonio Pappano. C’était l’occasion de vérifier l’état de la voix après plusieurs mois de repos et un récent retour en activité dans les productions de Lohengrin à Paris et d’Andrea Chénier à Munich. Le début dans Otello arrivait donc, pour le ténor allemand, au moment le plus délicat de sa carrière récente. Et le résultat, globalement, ne pouvait être plus satisfaisant.
Article partagé avec Platea Magazine (Madrid)
Traduit de l'espagnol par Guy Cherqui
L’histoire de Jonas Kaufmann est celle, heureuse et courageuse, d’un Cassio devenu Otello. Et ce n’est pas un vain mot : en 2004, Kaufmann chantait Cassio à l’Opéra de Paris et un peu plus d’une décennie plus tard il triomphe dans Otello à Londres. Le ténor allemand a construit une voix qui lui est propre, à partir d’une technique singulière et d’un indubitable engagement scénique. A Faust (La Damnation de Faust de Berlioz), Werther de Massenet, Carmen de Bizet comme Don José, Fidelio de Beethoven comme Florestan et à Cavaradossi de Tosca, dans les cinq dernières années Kaufmann a ajouté un répertoire chaque fois plus large et exigeant qui inclut des rôles comme Don Carlo (Verdi), Siegmund, Lohengrin, Parsifal, Walther (Wagner), Don Alvaro (La Forza del Destino) Manrico (IlTrovatore), Canio (Pagliacci), Des Grieux (Manon Lescaut), Turiddu (Cavalleria rusticana), Radames (Aida), Maurizio (Adriana Lecouvreur) ou Andrea Chénier (Giordano). En un mot comme en cent, un catalogue de rôles, large, étendu et très exigeant. Certes, dans bien des cas, il s’est limité à débuter le rôle sans le reprendre plus que quelques représentations, mais cela ne diminue pas l’exploit d’un iota.
Venons-en à la représentation d’Otello qui nous occupe. On y a pas vu un Kaufmann prudent ni réservé, comme on a lu dans certaines critiques de la Première. Il est logique qu’il prenne peu à peu confiance et maîtrise, dans un rôle si chargé de symboles et de tension, à mesure des représentations. Au lieu d’une expérience totale, il semblerait quelquefois que l’art lyrique se réduise à un cirque où il n’importe plus que de savoir si le chanteur du moment chute ou non en tentant telle ou telle pirouette. Eh bien, Kaufmann non seulement ne chute pas, mais se montre un interprète complet, musical, très intelligent, capable de faire sien le rôle, profitant de la couleur sombre de son instrument et d’une voix construite ad hoc pour négocier des mezzevoci et des piani à plaisir, avec une sonorité qui peut ne pas plaire à certains, mais qui fait entendre mille merveilles dans des passages comme Dio mi potevi ou toute la scène finale à partir de Niun mi tema.
Il y a des marges de progrès, évidemment, mais comme première tentative dans le rôle, le travail de Kaufmann mérite d’être qualifié d’exceptionnel.
Nous ne l’avons entendu ni forcer la voix, ni être en insécurité, tout au contraire très à l’aise, sûr de lui et montrant avoir étudié le rôle de manière très attentive. Puisse se préparer à Munich un Otello avec lui et les deux autres gloires locales Harteros et Petrenko, nous irons à genoux. Certes, écouter Kaufmann donne encore plus de valeur à l’exploit de Placido Domingo, qui a chanté le rôle pendant approximativement trois décennies que personne n’a surpassé et qu’il ne semble pas facile de surpasser.
La seconde grande attraction de la soirée – ou première ex aequo si vous me permettez – fut la superbe direction musicale d’Antonio Pappano, qui déjà en 2012 (alors avec Antonenko et Harteros) avait dirigé cette même partition dans la fosse de Covent Garden. De la tempête terrible qui ouvre la représentation à l’accompagnement filigrané et subtil de Desdemone dans sa prière, Pappano révèle un nombre ahurissant de détails et de ressources, avec un orchestre que je n’ai personnellement jamais entendu aussi fluide ni engagé. Un des meilleurs moments de la représentation fut le duo du troisième acte entre Otello et Desdemona, d’une extraordinaire tension. Une mention particulière pour le choeur du théâtre, vraiment en état de grâce : fermeté, diction, clarté, engagement scénique et son spectaculaire.
Maria Agresta a conclu de manière convaincante avec une prière particulièrement bien menée et contrôlée, en dépit d’un début hésitant et irrégulier, avec des notes à la justesse douteuse, et un phrasé sans la fluidité ni l’élégance qui lui sont habituelles. Heureusement, elle fut bien plus dans le ton à partir du duo avec Otello du deuxième acte, jusqu’à une scène finale aux mille feux, en pleine osmose avec un Pappano très inspiré.
Le pire de la soirée, ce fut le Iago de Marco Vratogna. Grossier et vociférant, aux antipodes de la subtile méchanceté du personnage : très loin de ce “plus subtil qu’un voile” que celui-ci entonne en intriguant avec Otello. Il n’y a là ni intelligence diabolique ni machiavélisme, mais une réunion de maladresses artistiques et vocales franchement insoutenables.
Le Royal Opera House a commis une très grande faute en se séparant de Ludovic Tézier, qui pour sûr aurait offert un Iago de bien plus grande classe et intérêt.
Correct et discret, un peu éteint, le Cassio de Frédéric Antoun, et excellente l’Emilia de Kai Rüütel.
La nouvelle production de Keith Warner est une énorme déception. Retirer la production classique d’Elijah Moshinsky pour la remplacer par celle-ci tient, à dire vrai, du non-sens.
En se tenant à un code qui erre sans but entre minimalisme mal compris et notion erronée du théâtre classique, la proposition finit par être terriblement ennuyeuse et prévisible, remplie de lieux communs (le lit blanc de Desdemona comme allusion à sa pureté) et de moments qui oscillent entre le grotesque (Otello jouant avec des petits bateaux comme si il n’avait rien de mieux à faire), le risible (ce graffiti sur le mur indiquant “Ecco il leone”, pointant avec une flèche les fragments d’une sculpture de lion) et l’incompréhensible (le miroir dans lequel Otello se reflète, sans qu’on puisse voir ce qu’il reflète et ce qu’on veut transmettre avec).
Seuls quelques détails de la direction d’acteurs méritent l’attention, comme lorsqu’Otello ferme la bouche de Desdemone dans la dernière scène, quand la moribonde prononce ses derniers mots qui le disculpent.
Parmi les quelques vertus de la production, celle de s’appuyer sur une scénographie (Boris Kudlička) qui sert tout le temps de caisse de résonance, favorisant encore plus la performance de Kaufmann et celles des autres solistes. En outre, la mise en scène place les chanteurs presque toujours au premier plan, près de la fosse. Soit dit en passant, comment est-il possible qu’à ce niveau personne ne veille à ce que le sol d’un décor ne fasse pas de bruit au fil des pas des solistes ?
Cet article a été écrit par Alejandro Martinez
2 commentaires
Merci pour ce très beau commentaire
Pour moi un ortello très décevant .
Pappano déchaîne ses forces comme on le faisait au théâtre de parme il y a cinquante ans.
Le bariton est tout content de beugler à qui mieux mieux.
Agresta sombre dans l air du saule pour se reprendre a la priaire version petite bourgeoise.
Le second chœur féminin semble sorti d une candide camera.
Kaufman aux abonnés absents les deux premiers actes pour se reprendre minimum syndical à la fin.
Plusieurs munichois étaient présents pappano étant papabile pour le trône de petrenko.
Leurs tristes mines à la fin du concert en disaient long..