Elektra
Tragédie en un acte. Livret de Hugo von Hoffmannsthal. Crétaion: 25/01/1909, Dresden .
Création à Barcelone: 15/02/1949, Liceu. dernière représentation au Liceu : 03/03/2008.
Total des représentations au Liceu: 36.
- Directeur musical :Josep Pons
- Mise en scène: Patrice Chéreau (✝ 2013)
- Mise en scène de la reprise: Vincent Huguet
- Assistant: Peter McClintock
- Décors: Richard Peduzzi
- Costumes: Caroline de Vivaise
- Assistante costumes: Bernadette Vilard
- Lumières: Dominique Bruguière
- réalisées par Gilles Botacchi
- COPRODUCTION
- Gran Teatre del Liceu, Teatro alla Scala (Milan), Metropolitan Opera House (New York), Festival d’Aix-en-Provence, Staatsoper Unter den Linden (Berlin) and Finnish National Opera (Helsinki)
- Orchestre Symphonique et choeur du Liceu de Barcelone
- Chef de choeur: Conxita Garcia
Cast
Klytämnestra | Waltraud Meier | |
---|---|---|
Elektra | Evelyn Herlitzius | |
Chrysothemis | Adrianne Pieczonka | |
Aegisth | Thomas Randle | |
Orest | Alan Held | |
Orest's tutor | Franz Mazura | |
Dama | Renate Behle | |
Young servant | Florian Hoffmann | |
Old servant | Mariano Viñuales | |
First maid | Bonita Hyman | |
Second maid | Andrea Hill | |
Third maid | Silvia Hablowetz | |
Fourth maid | Marie-Eve Munger | |
Fifth maid | Roberta Alexander | |
Maids | Mariel Aguilar, Olatz Gorrotxategi, Carmen Jiménez and Helena Zaborowska |
L'aventure de cette Elektra désormais entrée dans le mythe s'est close à Barcelone en décembre dernier. Notre ami Alejandro Martinez, co-directeur de Platea Magazine, nous fait l'amitié de nous permettre de traduire son article paru dans sa revue il y a quelques semaines. Nous le proposons dans sa version originale, aussi, en cliquant sur le petit drapeau espagnol.
Traduit de l'espagnol par Guy Cherqui
Soyons clairs et honnêtes : aussi bien le public que la critique, et bien sûr l’administration-même du théâtre, ont pris conscience dans les dernières années d’une dérive plus ou moins préoccupante du Liceo, qui n’était plus ce grand théâtre d’antan, qui n’arrivait plus à être au niveau de lui-même, de sa propre histoire et à se comparer comme il se doit aux autres grands théâtres internationaux.
La splendeur passée et un peu perdue de cette époque-là à nos jours est timidement revenue avec cette Elektra de Strauss, confiée au regretté Patrice Chéreau (avec Vincent Huguet comme responsable de la reconstitution scénique). Ce titre constituait une valeur sûre, pas si souvent représenté au Liceo (36 représentations depuis la création in loco en 1949), et qui pouvait se prévaloir d’une production qui a triomphé là où elle est passée, à Aix, Milan, Helsinki, New York et Berlin. Joan Matabosch est monté à son tour dans le train et aujourd’hui le Liceo de Scheppelmann en récolte les fruits indubitables.
La distribution est d’une notable solidité, avec trois dames aussi extraordinaires qu’Evelyn Herlitzius, Waltraud Meyer et Adrianne Pieczonka. Celles-ci sont, de fait, le terreau fondamental qui permet de parler d’une continuité entre ce que Chéreau a représenté à Aix-en-Provence et ce qui s’est vu ensuite dans les autres théâtres.
Evelyn Herlitzius est une force de la nature qui semble née pour chanter précisément Elektra. La personnification du rôle, la résistance, la capacité de le vivre en scène sont telles qu’on ne peut qu’admirer et jouir de ce prodige. Elle écrase vocalement avec un instrument qui fut toujours aigre et un tantinet tranchant, du pur métal, et qui cadre de manière extraordinaire avec la personnalité controversée de la protagoniste. Elle fait spectacle à tous les niveaux : dans sa gorge, dans ses yeux, dans ses silences. Elle est Elektra et personne ne peut en douter. En écoutant sa prestation à Dresde, à Milan et maintenant à Barcelone, j’ose dire que qu’elle entre de plein droit dans les grandes interprètes du rôle, de Flagstad1 à Marton et Polaski, en passant évidemment par Mödl, Varnay, Rysanek (qu’à l’écran cependant) 2, Nilsson. Le moment où elle fustige Klytämnestra, une Meier saisie par l’effroi, restera longtemps dans la rétine de qui a vu ces yeux incandescents, cette figure possédée par la vérité de Hoffmannsthal et Strauss.
Waltraud Meier a sans doute été la chanteuse la plus intelligente et magnétique des trente dernières années. Dotée d’un instrument merveilleux (cette couleur éternellement reconnaissable !), sans être exceptionnel, elle a su passer avec une très grande sagesse à des parties qui a priori n’étaient pas faites pour sa voix. Elle fut l’Isolde que personne n’imaginait et pas pour un ou deux ans, mais durant plus de deux décennies. Elle fut une Kundry de premier ordre et voluptueuse, d’une séduction inédite et presque perverse. Et dans l’intervalle elle est aussi Klytämnestra, un rôle où nous l’avons vue en diverses occasions (dirigée par Carsen à Paris, elle offrit une scène à couper le souffle). La création qu’elle a réussi avec Chéreau et Salonen, le chef qui a tenu les rênes de cette production à Aix-en-Provence, Milan, New York, Helsinki a quelque chose d’ineffable, qui dépasse le simple chant. C’est que Meier dit tout, même quand elle ne dit rien.
Dans la peau de Chrysothemis, Adrianne Pieczonka conclut le trio protagoniste avec un instrument peut-être moins brillant qu’il y a deux ans, mais d’une indubitable force, capable de répondre à une tessiture exigeante qui demande aussi sa dose bien marquée de lyrisme. Son engagement scénique dans un personnage rayonnant achève le jeu des tensions psychologiques, en un contraste presque troublant avec le comportement d’Elektra.
Dans le parcours de cette coproduction, le rôle d’Oreste a été confié à divers interprètes, Mikhail Petrenko, René Pape, Eric Owen ou Michael Volle. Au Liceo, le rôle a été confié à Alan Held, un baryton pétri de répertoire dramatique allemand, notamment Wagner et Strauss, capable de s’acquitter avec une grande solidité de la tâche. À ses côtés, honneur et justice pour le vétéran Franz Mazura, qui à 92 ans pourrait bien être le chanteur le plus vieux à avoir foulé la scène du Liceo (le brave Jaume Tribó 3 pourrait nous en ôter le doute. La liste des servantes est magnifique, et rien que pour la manière dont elles remplissent la scène au début de la représentation elles méritent d’être citées : Renate Behle, Bonita Hyman, Andrea Hill, Silvia Hablowetz, Marie-Eve Munger, Roberta Alexander, Mariel Aguilar, Olatz Gorrotxategi, Carmen Jiménez, Helena Zaborowska.
Josep Pons 4 confirme avec cette Elektra l’engagement continu qu’il a déjà mis en œuvre aujourd’hui pour améliorer et consolider la qualité de la fosse du Liceo, vu que c’était le centre de toutes les attentions il y a à peine cinq ans. Il reste pour s’en assurer que de travailler pour faire que cette amélioration ne dure pas ce que durent les roses, mais ces représentations méritent très justement le qualificatif d’exceptionnelles. De fait cette Elektra a tout : la force, la vigueur, la sécurité, l’intensité. L’orchestre et Pons lui-même ont cru en ce qu’ils avaient en main et cela se voit, on le perçoit dès le premier accord au silence unanime, qui coupe le souffle à la fin de la représentation. De toute manière l’orchestre et sa propre vision musicale sont un protagoniste fondamental de toute représentation d’Elektra : sans son concours, l’engagement valeureux des protagonistes ne servirait à rien. C’est pourquoi être à la hauteur d’artistes comme Herlitzius ou Meier est déjà un mérite en soi.
Mort en 2013, quelques mois après la création de cette production, Patrice Chéreau, a réussi à humaniser une tragédie classique pour nous la rendre plus proche, de chair et d’os. « Il n’y a pas de Dieux dans le ciel » hurle Elektra au cours de la représentation : le mythe est l’arrière-plan qui bien sûr le rend possible, mais Chéreau le met à nu et se fixe sur tous les personnages, sur leur psychologie, au plus terre à terre, y compris la boue, et fouille dans la nature controversée de certains êtres complexés, sans l’insécurité, en proie à leur propre incapacité à communiquer et à résoudre en somme un problème domestique, une question familiale élevée en son temps en parabole littéraire et philosophique par Sophocle. Le travail de Chéreau est un travail essentiel, un classique, par son mérite propre : exemplaire dans son utilisation de l’espace scénique unique, magistral dans sa direction d’acteur intense et réfléchie, admirable dans sa capacité à faire plus avec moins.
References
1. | ↑ | qui cependant ne le chanta jamais en scène, et seulement partiellement en 1953, voir https://www.youtube.com/watch?v=Gz-w-P3LxRo |
2. | ↑ | Film de Götz Friedrich, 1981 |
3. | ↑ | l’un des meilleurs connaisseurs du Liceo et de son histoire – NdT |
4. | ↑ | interviewé récemment dans les pages de Platea Magazine |
Cet article a été écrit par Alejandro Martinez