Le bac 68, comédie française, écrite, mise en scène et jouée par Philippe Caubère du 4 octobre au 19 novembre.
Comédien, auteur, imitateur, chanteur, clown, mime, Philippe Caubère est un homme-orchestre au talent unique, le seul sans doute, à avoir fait de sa vie une œuvre et de ses souvenirs des spectacles qui, en parlant de lui, parlent de nous, de notre histoire commune. Voilà plus de trente-cinq ans qu’il a choisi de raconter sa vie sous la forme d’une saga qu'il intitule "Le roman d'un acteur", convoquant sur scène sa mère Claudine, mais également Mme Colomer la bonne, son professeur de théâtre, Ariane Mnouchkine, l’âme du Théâtre du Soleil, ainsi que les fantômes du général de Gaulle, de Malraux, Mauriac ou de Johnny Hallyday découvert en concert à Marseille. Véritable marathon partagé sans compter avec un public qui a su se renouveler, même si les fidèles de la première heure, les fameux ornithorynques qu’il aime tant apostropher sont toujours là et ne rateraient sous aucun prétexte le moindre de ses rendez-vous, ses confessions théâtrales constituent désormais une somme inépuisable et infinie.
Après le Théâtre du Rond-Point où Caubère avait présenté l’intégralité de ses solos (environ 14 heures) il y a quelques années, le Théâtre de l’Athénée est devenu son port d’attache. Le Bac 68 qu’il reprend jusqu’au 19 novembre en alternance avec La danse du diable (pièce fondatrice présentée à Avignon en 1981), est sans doute l’opus le plus facile pour qui ne connaîtrait pas l’art de ce comédien hors norme. Claudine, la mère petite bourgeoise gaulliste étouffante et au verbe éruptif, fait irruption dans la chambre de son fils Ferdinand (alias Caubère) qui doit passer son bac en mai 68 ; celui-ci qui n’a rien fait de l’année, rêve de faire du théâtre, activité hautement répréhensible que Claudine lui conseille d’oublier. Pieds nus, un châle à carreaux sur les épaules, Caubère incarne sa mère en train de lui asséner tout ce qu’elle sait des risques de ce métier et de la vie.
L’exercice est prodigieux, Caubère passant d’un rôle à un autre, parlant sans discontinuer de la famille, du passé, de politique, mais également de choses très intimes qui font pleurer de rire le public, qui ne peut s’empêcher de se reconnaître dans ce portrait de la France d’autrefois. Découpé en trois temps, le second est consacré à la visite que la mère de Ferdinand décide de faire au professeur de son fils. La description de la collection de papillons vivants fraîchement cloués et se vidant de leur « jus » est inénarrable. Le numéro de charme de Claudine rassure Ferdinand qui pense pouvoir décrocher son bachot en répondant aux questions de M. Belanger. La dernière partie, celle de l’oral du bac est purement anthologique : Claudine accompagne son fils au lycée Mignet au petit matin, dans sa Diane (ce qui nous vaut un passage délirant sur ladite voiture aux vitres improbables) ; contre toute attente, Ferdinand se retrouve face à un autre professeur qui l’interroge sur La Sibérie dont il ne connaît rien. A la fois interrogateur et interrogé, Caubère termine en apothéose, les igloos, les rennes, les agrumes et le lichen dévoré sur les trains suscitant le rire permanent d’une salle qui reste médusée par la générosité, l’originalité et le talent protéiforme de cet incroyable homme de théâtre, qui n’a pas fini de nous émouvoir, de nous faire rire et de nous éblouir.
Ferdinand aura finalement son bac et deviendra comédien…..
François Lesueur
© Arnold Jerocki
Cet article a été écrit par François Lesueur